AGRESSIONS/INCIDENTS - PAR QUOI OU PAR QUI SONT-ILS PROVOQUÉS ?
Maintenant que les chiffres et statistiques ont été exposé, que la conscience se réveille peut-être, il reste à comprendre pourquoi le canidé, réputé « non-conflit » dans sa gestion des relations avec ses congénères (et l’humain), peut se convertir en « agresseur » ou « mordeur ». Qu’est-ce qui pousse un chien domestique à attaquer ? Des troubles comportementaux pathologiques en sont-ils toujours la raison ? Les euthanasies, pour un motif de dangerosité, sont-elles fréquentes en Suisse ?
Les attaques défensives, soit celles où c'est l'homme qui se dirige sur le chien et ce dernier réagit pour se défendre (situations de peur, d'agacement, entre autres), sont très majoritaires en Suisse. C’est une vérité à regarder bien en face et à intégrer. Comme nous l’avons déjà mentionné, la principale responsable de ces « faux pas » humains reste la méconnaissance des instincts, des comportements, du fonctionnement, des signaux d'avertissement et des codes de communication canins. Pour la population, la pensée qu’un chien est « gentil », qu’il ne mordra jamais, est courante mais, malheureusement, totalement erronée voire extrêmement dangereuse ! Les problèmes sont donc créés par cette fameuse ignorance du canidé en règle générale (y compris du sien propre) ainsi qu'issus d’une pensée anthropomorphisée et d’une vision trop angélique du canidé, non calquée sur la réalité du règne animal. Nous pouvons également citer les dérives engendrées des personnes plus intéressées par le profit que par l'éthique dans l'élevage, par une absence ou une mauvaise éducation des propriétaires (en immense partie due aux raisons précédemment citées), du mauvais choix de race (la vie du propriétaire ne cadrant aucunement avec les besoins du chien) ou encore à un manque cruel de réflexion avant de se lancer dans l'achat ou l'adoption d'un chien ! L'humain fait bien souvent des faux pas, ce qui, malheureusement, engendre de très (trop) nombreux problèmes pour le canidé domestique.
Il existe nombre de facteurs déclencheurs pouvant mener un chien à mordre, et ce même s’il ne l’a jamais fait auparavant :
1. Les instincts, notamment celui de la protection (de ressources lors des repas, de territoire dans sa maison/jardin, de ses petits ou de l’humain en cas de menace) ou de prédation (objet/personne en mouvement, simulant la proie tel que les joggeurs, cyclistes).
2. Le non-respect des signaux d’avertissement lorsque le canidé se sent stressé, agacé ou a peur. Incompréhension, méconnaissance, ils ne sont pas entendus et le chien finit par devoir mordre pour signifier son mal être et le voir cesser.
3. La douleur, lorsqu’un chien est malade, blessé ou âgé.
4. L’agression redirigée, où le chien agresse car il est en état de surexcitation ou frustration et doit mordre quelque chose ou quelqu’un pour se calmer.
5. Le besoin de se défendre, s’il se sent menacé, agressé et qu’il ne peut pas se soustraire ou remettre de la distance entre lui et la menace.
6. Le jeu, se dévoilant au travers de pincements lorsque les chiots jouent. Ces derniers, sans travail du propriétaire pour apprendre au chien à contrôler sa morsure, peuvent devenir récurrents voire problématiques.
7. La morsure instrumentalisée, survenant de manière imprévisible. C’est une conduite qui consiste, pour le chien, à agresser/mordre préventivement lorsque, dans le passé, ce comportement s’est avéré efficace dans une situation de stress, menace, peur.
8. La génétique - elle influence les caractéristiques tempéramentales, soit aussi les comportements d'agression, et peut donc également jouer un rôle. Certaines pathologies tels l'hyperréactivité, le SOA (Sudden Onset aggression - syndrome d'agression soudaine), les TOC, la démence sénile, les troubles thyroïdiens ou encore la prise de certains médicaments peuvent augmenter les risques d'agressions et de morsures.
Il est important de comprendre qu’un canidé ne mord pas sans raison, en-dehors de troubles génétiques ou pathologiques reconnus ! Ça n’est pas parce que nous ne la comprenons pas qu’il n’y en a pas ou que l’on doit tout de suite considérer que le chien est "méchant" (anthropomorphisme caractérisé). Il est alors vital que l’humain se remette en question, évalue la situation dans son ensemble, avec objectivité et neutralité, afin de déterminer qu'est-ce qui en a été le déclencheur, qui est à l’origine de l’incident.
En termes d'erreurs purement humaines, conduisant à des agressions, nous pouvons citer quelques exemples, parmi les plus fréquents :
- faire du jogging ou du vélo et ne pas s’arrêter lorsqu’un chien est non attaché, non maîtrisé (par le propriétaire) ou libre sur son territoire (jardin non clôturé ni fermé, qui touche aussi l'instinct de protection). Le passage, en mouvement rapide, peut réveiller l’instinct de prédation du canidé. Il y verra là le comportement d’une proie en fuite, ce qui peut le pousser à se « jeter » à sa poursuite. Pensez à vous arrêter dans ces circonstances ou en cas de doute car une chose est sûre : vous ne gagnerez pas contre un canidé !
- ne pas surveiller les enfants en présence d’un chien. En effet, les gamins s’amusent souvent avec cette « peluche vivante », le touchant de manière répétée, n’importe où, le dérangeant lorsqu’il dort, lui infligeant parfois une douleur, l’agaçant ou s’approchant de la gamelle pendant qu’il mange. Nous le rappelons : un enfant ne doit jamais être laissé seul en compagnie d’un chien, même pas 30 secondes, quand bien même soit-il de la famille ! Les gestes des enfants peuvent être brusques, incontrôlés et leur connaissance est bien trop superflue pour repérer les signaux d’avertissement. De plus, comme ils sont constamment en mouvement, cela peut stimuler l'instinct de prédation des chiens n'ayant pas été en contact avec eux précédemment (adoption, chien vivant qu'avec des personnes adultes). Les enfants font également des sons aigus dans leurs jeux, ce qui attire les chiens. C’est également le cas des bébés qui, lorsqu’ils crient, peuvent indisposer ou agacer le chien, d'autant plus si ce dernier est dans un état physiologique et émotionnel altéré. Il convient donc aux parents d'impérativement connaître le fonctionnement canin, d’éduquer leurs enfants ET les petits visiteurs sur les comportements à adopter et de les surveiller, en tout temps.
- ne pas demander l'autorisation avant de toucher un chien, inconnu ou non. Les personnes, adultes et enfants, arrivent d’ailleurs souvent « en frontal », par « en-dessus », descendant la main sur la tête du chien ou le touchant sur l’arrière ou les côtés, ce qui va surprendre ou agacer le canidé. Il existe également des chiens qui n’aiment tout simplement pas être touchés, pour diverses raisons. Il y a encore des personnes qui s’approchent ou cherchent à caresser des chiens attachés devant des magasins, sur les pas de porte ou par-dessus la clôture de maisons, une erreur monumentale aux conséquences totalement prévisibles.
- prendre un jouet, l'os ou encore la gamelle d'un chien. Cela touche alors l’instinct de protection (de ressources) et si un travail d’éducation n’a pas été fait durant les premiers mois de vie par les propriétaires, cela peut provoquer une réaction immédiate du chien. Si vous ne connaissez pas le chien, ce sont des actions à éviter absolument !
- ne pas savoir s'arrêter lorsqu'on joue avec un chien. Certains montent très vite en excitation, que ce soit à cause de leur héritage génétique ou de leur personnalité/caractère. Ils peuvent basculer dans la surexcitation, lorsque le jeu ou l’action les poussent trop loin, les contraignant alors à mordre pour s’apaiser (agression redirigée). Il est nécessaire de bien connaître son chien et de repérer les signes d’excitation afin de pouvoir mettre fin à celle-ci, en cessant l’activité/action, avant que le chien n’atteigne un point de non-retour.
- vouloir s’interposer dans un conflit entre chiens, en mettant la main « au milieu » ou en prenant le chien dans les bras (notamment pour les petites races). Il est clair que les risques de se faire mordre prennent, à ce moment-là, l’ascenseur de manière exponentielle. Il est donc impératif de suivre des cours pratiques d'éducation canine, afin d'apprendre à se comporter et savoir comment agir dans ce genre de situations !
- vouloir forcer le passage avec des chiens de protection, traverser le troupeau sans cesser sa course (à pied ou à vélo) ou encore venir dans ces zones avec des chiens domestiques. Le chien de protection est là pour protéger son troupeau contre toute menace, pas seulement le loup. Il donne des signaux clairs (aboiements, course dans votre direction, escorte) qui doivent impérativement être respectés. Il cherche simplement à identifier la possible menace. Il est alors conseillé de s'arrêter, de laisser le chien procéder à son évaluation, de marcher lentement et/ou contourner le troupeau. Tout geste réveillant l'instinct (lever les bâtons de marche, forcer le passage, courir ou vouloir s'approcher/toucher des moutons, etc.) sera perçu comme une menace dont les conséquences sont alors prévisibles. Les problèmes viennent, là encore, de l'absence de lecture et de prise en compte des panneaux posés au départ des chemins de randonnée (ainsi qu'à l'approche du troupeau), d'une méconnaissance du comportement canin et de l'incapacité, pour certains humains, à comprendre qu'ils ne sont pas partout chez eux et qu'il est de mise de respecter les divers usagers rencontrés. Oui car pour faire court, les chiens et les bergers sont en train de travailler pendant que vous profitez simplement d'un loisir, il est donc clair que le professionnalisme prime sur le tourisme et les activités récréatives !
Bien entendu, comme mentionné précédemment, la génétique et certains troubles comportementaux pathologiques ou prises de médicaments peuvent être à l'origine d'agressions. Mais il est aussi juste de dire que parmi ces troubles, certains sont également provoqués par l’humain, au travers d’erreurs éducationnelles ou de non-respect des besoins du canidé. Dans le milieu canin et vétérinaire, on sait que les troubles comportementaux, dus à des erreurs d'éducation, sont facilement corrigeables les six premiers mois de vie du chiot mais que plus le temps passe, plus les choses se compliquent. Il ne faut donc jamais tarder à consulter en cas de problèmes d'ordre comportemental ! Dans certains cas où l'agressivité est plus difficilement maîtrisable ou corrigeable, le vétérinaire peut décider d'imposer le port de la muselière ou d'autres mesures visant à protéger autrui.
Mais contrairement à la pensée populaire, les cas où rien ne peut être fait pour traiter le chien, malgré les mesures existantes, et qui mènent alors à une euthanasie, sont très rares en Suisse. Nous gardons tous en mémoire le cas du petit Süleyman (6 ans), en 2005 à Zürich, tué par trois molossoïdes qui étaient enfermés et avaient été hautement maltraités depuis leur naissance. Cette horrible attaque a également eu des répercussions, d'ordre psychologique et traumatique, sur la jeune femme de 26 ans qui avait été témoin des faits. Les chiens ont, quant à eux, été euthanasiés, les dommages causés par l'humain étant trop graves pour être réversibles, ce qui vous montre qui est, sur le fond, le vrai responsable de cette tragédie ! Même si les troubles pathologiques graves voire irréversibles sont rares, ceux plus légers, en lien avec une méconnaissance canine menant à des erreurs éducationnelles, sont très/trop fréquents. Le chien peut clairement en souffrir, ce qui fait déjà partie d'une certaine forme de maltraitance, il est nécessaire d'appeler un chat un chat !
Vous l’avez maintenant compris : la responsabilité de bon nombre d'incidents et de morsures en Suisse n'est donc pas à mettre sur le dos du chien domestique, quand bien même qu'il fasse partie des prédateurs et descendant du loup, mais est, directement ou indirectement, imputable à l'humain. Tout ce qui vous a déjà été expliqué jusqu'ici vous montre que la méconnaissance voire l'ignorance de la population en ce qui concerne le fonctionnement du chien sont dangereuses. Et, en plus de provoquer des agressions, elles sont également très préjudiciables pour le bien-être, autant physique, mental qu’émotionnel du chien. En ne le connaissant pas, en ne sachant pas comment satisfaire ses besoins (ET NON LES NÔTRES !), comment il fonctionne et réagit, nous avons de fortes chances de ne pas le rendre pleinement heureux ni de lui offrir la vie d’un vrai canidé, selon sa nature.
Un exemple criant d'une bêtise humaine aux conséquences sévères et évitables, c'est celui des critères de sélection motivés par le physique du chien (gabarit, couleur du pelage ou des yeux, particularités, etc.). Prendre une race dont on est incapable de combler les réels besoins, à tous les niveaux, entraîne alors des troubles de santé mentale et physique chez le chien, qui peuvent basculer sur une possible augmentation des incidents avec des congénères et des humains. C'est ce que nous pourrions appeler "le délit de belle gueule", soit de succomber à un coup de coeur esthétique mais sans réflexion et étude approfondies ! Et c'est extrêmement fréquent, malheureusement, comme en témoignent nombre d'éleveurs, de vétérinaires et de refuges.
Nous citerons trois races en particulier, très à la mode : le Berger Belge Malinois, le Berger Australien et le Border Collie. Elles paient un très lourd tribut à cette erreur humaine, entre troubles comportementaux pathologiques et abandons fréquents. Pourquoi nous direz-vous ? Eh bien simplement parce que ces races sont peut-être magnifiques, en jettent, mais elles ont également des besoins précis et conséquents que beaucoup de propriétaires ignorent, ou choisissent d'ignorer ! En effet, ce sont des chiens provenant de races de travail, qui nécessitent des activités autant physiques que mentales, de manière appuyée et quotidienne : de longues balades (et non pas 10 minutes par jour) pour se dépenser mais aussi une stimulation intellectuelle (recherche, jeux divers, agility, etc.). Ces races sont souvent choisies car elle tape dans l'oeil certes mais soyons clairs : peu de propriétaires peuvent réellement leur offrir ce dont elles auraient vraiment besoin. Il en découle alors toutes sortes de problèmes matériels (dégâts dans la maison), avec le voisinage (aboiements/pleurs) mais, surtout, émotionnels et comportementaux pour le chien : profond mal être, dépression, hyperréactivité, TOC ou encore automutilation. Un chien malheureux, frustré, un propriétaire dépassé, une possible augmentation de l'agressivité, la combinaison est 100% perdante.
Pour éviter ces problèmes, tant au niveau comportemental/émotionnel chez le chien que les possibles incidents qui pourraient en découler, chaque futur propriétaire doit se poser cette question, avant de choisir une race mais aussi un chien tout court : que puis-je offrir à un chien ? Temps quotidien à disposition (balades, cours d'éducation, jeux, sortie, socialisation, etc.), capacités physiques du maître, nombre de jours de travail par semaine, solutions de garde (pension ou garderie en journée - un chien ne peut et ne doit pas être laissé seul + de 5h par jour normalement), études des activités extérieures pour stimuler le chien et, bien évidemment, le budget. L'entretien d'un chien a aussi un prix, comptez plusieurs centaines de francs par mois pour les personnes qui travaillent et se doivent donc de trouver des solutions pour le bien-être du chien ! Tout doit donc avoir été étudié, réfléchi, pensé en amont, des mois avant l'acquisition ! Toutes ces questions doivent avoir obtenu des réponses, des solutions concrètes doivent avoir trouvées car l'engagement durera des années. Et il ne faudra jamais oublier d'ajouter nos changements de vie, dans lesquels nous devrons toujours inclure le chien !
Malheureusement, nombre de personnes se posent la question à l'envers, soit "qu'est-ce qu'un chien peut m'offrir ?". "Il me forcera à sortir", "il me tiendra compagnie car je me sens seul le soir en rentrant", "il sera un compagnon de jeux aux enfants, qui nous le réclament", voilà quelques-uns des motifs qui vont se heurter de plein fouet avec la réalité le jour où le chien sera là, si la réflexion n'a pas été faite correctement. Et les conséquences de toute erreur, c'est avant tout le chien qui les paiera cash, toute sa vie !
Vous l'avez compris, nous influons donc grandement sur le comportement du chien, cela va sans dire. Mauvais choix, erreurs d'éducation et/ou de socialisation, méconnaissance du fonctionnement canin et de son propre chien, anthropomorphisme, infantilisation, une chose doit être claire maintenant : l'amour n'est donc de loin pas suffisant pour assurer le bonheur du chien, l'humain a surtout des responsabilités et des devoirs ! Dans la nature des canidés, il y a cette nécessité d'éviter le conflit, qui lui est importante pour vivre en meute, en groupe. Les agressions surviennent alors dans des circonstances souvent spécifiques, où le chien n'a plus le choix, que son mal être, sa peur le forcent à réagir ou que ses instincts (protection, survie, prédation) sont enclenchés.
Pour prévenir les incidents, nous devons donc passer par l’information à la population et surtout aux propriétaires de chien et aux enfants. Seule la connaissance permet d’éviter des situations potentiellement problématiques et donc les agressions et morsures qui pourraient en découler. Cela passerait donc par le retour, qui devient vraiment urgent au vu de la situation actuelle, de cours théoriques pour tout propriétaire, avant l’achat ou l’adoption d’un compagnon et même pour des propriétaires en ayant déjà eu mais ne travaillant pas dans le milieu canin ou vétérinaire. La mise en place de critères spécifiques et obligatoires pour posséder un animal pourrait aussi être évaluée car, rappelons-le, le chien n'est pas une peluche, une lubie, un caprice, un cadeau d’anniversaire, de Noël ou un signe de réussite et d’accomplissement social. Et nous conseillons fortement aux personnes craignant les chiens de suivre des thérapies de désensibilisation, ceci afin de la supprimer (elle est ressentie par le canidé) et d'adopter les bons comportements lors de rencontres.
Le chien mérite que nous le connaissions bien mieux et que nous lui offrions tout ce dont il a réellement besoin, les meilleures conditions afin qu’il puisse mener une vie de canidé, digne de ce nom !
Photos : Cinotopia, IG, Consulting Dogs & Illustration
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Date de dernière mise à jour : 08/08/2024