Mission Loup

LE FONCTIONNEMENT DU LOUP

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Le loup gris, Canis lupus, représente une espèce de Canidé fascinante, reconnue pour son organisation sociale complexe et sa capacité à s'adapter à une diversité d'environnements à travers le monde. Cet apex prédateur, c’est-à-dire un prédateur n’étant la proie d’aucune autre espèce, joue un rôle crucial dans les écosystèmes où il évolue, influençant significativement la dynamique des populations de proies et contribuant à maintenir l'équilibre écologique.

Nous vous proposons, au travers de quelques explications scientifiques et portant également sur une certaine réflexion, de rentrer dans l'univers du loup. Nous vous offrons une présentation sous différents angles, afin de remettre en question les croyances et les pensées, souvent orientées par divers biais, de la société humaine sur ce canidé, dont son cousin est aujourd'hui notre meilleur compagnon. Ne l'oublions pas !

Pour toute personne souhaitant en savoir plus sur le loup, qui reste un sujet extrêmement vaste et complexe, il existe nombre d'ouvrages et études écrits par des spécialistes mondiaux, l'étudiant depuis les années 1950. Certains d'entre eux sont listés dans le chapitre sources & références !
 

Bonne lecture !


Photo : F. Bruggmann

 

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE, PLASTICITÉ ÉCOLOGIQUE & RELATIONS AVEC L'HOMME

Le loup gris est parmi les canidés les plus répandus, s'adaptant à une vaste gamme d'habitats dans l'hémisphère nord. Des montagnes aux déserts, en passant par les forêts denses, aux contrées arctiques et même certaines zones urbaines, les loups démontrent une plasticité écologique très impressionnante. Par exemple, la sous-espèce Canis lupus lupaster est présente en Afrique du Nord, adaptée aux environnements semi-arides et montagneux, illustrant leur capacité à prospérer dans des conditions et climats variés.

Les deux besoins primordiaux du loup, c'est d'avoir des proies en suffisance ainsi qu'une zone de repli, où il peut se cacher de son seul prédateur : l'homme. Cela lui permet donc de vivre dans des milieux très différents et de prédater toute sorte de proies, des bisons (entre 300 et 900 kg) à de simples poissons, dans des zones côtières, en passant par des lagomorphes, des rongeurs, des batraciens, des cervidés, des ongulés, etc. La capacité d'adaptation du loup lui a donc permis de traverser les millénaires et de résister à toutes les tentatives d'extermination lancées dès le Moyen-Âge. Il est présent depuis plus de 40 millions d'années, l'humain n'étant là que depuis 200'000 ans. Certaines cultures, admirant ses qualités de chasseur et de protecteur, ont même domestiqué des louveteaux afin de s'en servir, dans différents domaines. Tout chien domestique, encore aujourd'hui en 2024, porte l'ADN du loup ! Il est donc très paradoxal de détester voire d'haïr le loup, de vouloir l'exterminer tout en vénérant, en même temps, la présence du chien auprès de nous, en lui laissant une place énorme dans notre société, comme vous le montreront les chiffres par la suite. 

Aujourd'hui, Canis lupus est une des espèces les plus étudiées au monde, la fascination qu'il exerce, de par sa proximité et ses ressemblances avec notre société humaine en termes de vie sociale, est puissante. Les études, en cours depuis les années 1940 et ayant réellement acquis de la consistance avec l'apparition de la technologie, ont permis de montrer les capacités du loup, que ce soit dans ses déplacements, sa gestion du territoire, sa vie sociale, ses méthodes de chasse pour prédater des proies bien plus grosses et fortes que lui ou encore à apprendre à détourner les mesures mises en place pour contrer ses prédations, pour ne citer que quelques exemples.

Cela renvoie forcément l'homme à ses limites, puisque nombre d'entre nous refusons encore d'accepter que la nature a le pouvoir total, qu'elle n'accepte aucune domination ni contrôle et que tout ce qui sera mis en place par l'humain aura, toujours et sans exception, une durée de vie limitée. La capacité de l'homme à évoluer, à se remettre en question et à s'adapter est moins impressionnante que celle du loup, il en va sans dire. Canis lupus challenge donc l'humain, c'est ce qui fait de lui un des animaux les plus clivants. Mais, en 2024, ce clivage ne devrait plus exister, tout simplement car les positions extrêmes (dénuées de connaissance et axées sur la généralisation la plupart du temps) n'ont jamais permis et ne permettront jamais de trouver des solutions viables et durables. Elles ne font que montrer l'incapacité de l'humain à coexister avec la nature et le vivant, en nous maintenant dans des vieux schémas non évolutifs et des croyances dépassées !  



Dictionnaire

Plasticité         Qualité de ce qui est souple, modifiable
ADN               
Molécule support de l’information génétique héréditaire.


Loup arctique jdzacovsky shutterstock Canis lupus lupaster

Photo : JDzacovsky/Shutterstock (loup arctique) & Cécile Bloch (Canis lupus lupaster)

RÔLE ÉCOLOGIQUE

Le loup joue un rôle crucial en tant qu'espèce clé de voûte dans de nombreux écosystèmes. En occupant le sommet de la chaîne alimentaire, il régule efficacement les populations de proies, en particulier celles des grands herbivores tels que les cerfs et les élans. En prélevant ces proies, les loups contribuent à maintenir leurs effectifs à des niveaux durables pour l'écosystème, prévenant ainsi la surpopulation. Cette régulation est essentielle pour éviter une surconsommation des ressources végétales et la dégradation des habitats, favorisant ainsi une plus grande diversité parmi les herbivores et autres prédateurs situés plus bas dans la chaîne alimentaire. Elle permet également d'empêcher la propagation d'épidémies ou la consanguinité dans les espèces sédentaires, dont le renouvellement génétique est appauvri (manque de brassage).  

Les loups peuvent également avoir des effets significatifs sur la structure physique des habitats. Par exemple, en modifiant les schémas de déplacement et les habitudes alimentaires des proies, ils influencent la régénération des forêts et la répartition des zones pâturées. Ces changements peuvent avoir des implications à long terme sur la composition et la structure des paysages naturels. L'abroutissement des jeunes arbres, la disparition de certaines espèces végétales, entraînent des problématiques que l'humain ne peut réparer, ce qui montre que la présence de prédateurs naturels est nécessaire au maintien d'une biodiversité saine, en évitant les surpopulations et ses conséquences néfastes. 

La science a permis de découvrir le rôle et les mécanismes propres à certaines espèces, entre elles, sur leur environnement, les habitats, etc. Mais il est nécessaire d'intégrer que seule une infime partie de ces derniers sont connus, un peu comme la pointe de l'iceberg, qui cache la partie immergée. Il reste donc une multitude d'informations que nous ne possédons pas, de questions auxquelles nous n'aurons, peut-être, jamais de réponses. Dès lors, il est clair que toute décision concernant la nature, des espèces, des situations, n'amènera potentiellement pas les résultats escomptés, toutes les pièces du puzzle n'étant pas entre nos mains (loin d'être expertes). Nous devrons donc constamment réévaluer, étudier, approfondir, nous remettre en question, les certitudes n'existeront jamais ! La science en a conscience mais l'humain, lui, veut des réponses à toutes ses questions, des solutions à tous ses problèmes. Cela mène, indéniablement, à des décisions insensées, inadaptées et qui, au travers des 70 dernières années, ont conduit le 50% des espèces vivantes à disparaître.

Le rôle du loup est clair : il régule les espèces proies et a donc une place importante et irremplaçable dans notre écosystème ! Il n'est pas utile de vouloir lui en trouver dix, cinquante ou mille pour valider, tolérer/accepter sa présence et "l'autoriser" à rester membre à part entière de la nature. Cette façon de penser et d'agir, totalement anthropocentrée, est la cause des tourments qui secouent la planète aujourd'hui ! Nous jugeons de l'utilité d'un animal, d'une espèce, pour décider de son droit de vivre, en ignorant totalement cette face immergée de l'iceberg que nous ne voyons pas mais qui est éminemment importante, vitale : son rôle, ses liens avec les millions d'autres espèces, les mécanismes puissants qui se nouent pour faire fonctionner la nature, l'écosystème et la biodiversité. 

 

Dictionnaire

Sédentaire                 Qui reste le plus souvent sur le même périmètre, territoire, ne se déplace pas ou peu.
Anthropocentré          Q
ui considère l'humain comme l'entité centrale la plus significative de l'Univers et qui appréhende
                                la réalité à travers la seule perspective humaine. 



Loup carcasse 3

Photo : P. Santucci

STRUCTURE SOCIALE ET HIÉRARCHIQUE

Les loups vivent en meutes hautement organisées, où la dynamique sociale est régulée par des instincts profondément enracinés. Au cœur de chaque meute se trouve un couple reproducteur, qui guide les décisions critiques telles que la recherche de nourriture et la défense du territoire. Les autres membres de la meute, souvent des descendants du couple « alpha » (reproducteur), contribuent à la chasse collective et aux soins et à l'éducation des jeunes.

L'instinct de hiérarchie est central dans la vie sociale des loups, où les interactions complexes de dominance et de soumission maintiennent la cohésion du groupe. Les loups dominants accèdent prioritairement aux ressources, tandis que les subordonnés manifestent leur soumission par des comportements tels que lécher le museau des dominants et adopter des postures corporelles de soumission. Cette structure sociale favorise une coopération efficace lors de la chasse et une défense collective contre les menaces extérieures à la meute.

La structure d'une meute est, bien évidemment, évolutive. Elle varie en fonction de la période de l'année, des naissances, des morts et des départ en dispersion. Et ce pendant toute sa durée de vie. Des changements dans le couple reproducteur peuvent survenir dans nos contrées, où le tir légal (régulation), le braconnage et la circulation routière/ferroviaire sont les principales causes de décès. De 3 à 5 loups adultes en avril, nous passons à 7 à 11 loups après la naissance des louveteaux (en moyenne, entre 3 et 7). Mais, au fur et à mesure, entre août et mars, les effectifs descendent, principalement à cause de la mortalité des louveteaux et des départs en dispersion. Les effectifs reviennent alors à la case départ. Les meutes suisses ne comptent, finalement, qu'une dizaine/douzaine d'individus au plus fort de l'été (dont les louveteaux qui ne chassent et ne se déplacent pas avant septembre) et entre 3 et 5 au sortir de l'hiver.

Le fonctionnement de la meute est basé sur la reproduction, la chasse coopérative, la défense du territoire, la cohésion sociale et le jeu. Ce dernier revêt une importance toute particulière chez le loup. Il est pratiqué continuellement par les louveteaux et souvent par les adultes et subadultes. Il renforce les liens sociaux, augmente la confiance et diminue les conflits. Il permet également d'évaluer des capacités à s'établir et à se maintenir dans la hiérarchie (relations de dominance entre les membres). Il est utile de comprendre que, comme le chien, plus les individus passent de temps à jouer, moins il y a de comportements agressifs. Vous le découvrirez au long de ce dossier : le canidé adopte une position de non-conflit, qui lui est vitale pour vivre.

La particularité du loup est qu'il peut accepter la présence, au sein de sa meute, d'un individu n'ayant aucune filiation génétique. Selon les études faites, ce phénomène arrive dans des circonstances somme toute assez particulières, notamment en cas de perte de membres (mort naturelle, régulation, blessure) et pour autant que le réservoir de proies soit suffisant et que l'individu étranger ait un caractère/personnalité plutôt axé sur le non conflit, la soumission et ne représente pas un danger pour l'équilibre de la meute. Il peut également arriver qu'un membre du couple reproducteur, blessé/vieillissant ou affaibli, soit remplacé par un loup en dispersion. Cela est plus fréquent dans les pays nord-américains, où les meutes sont beaucoup plus importantes, tout comme les territoires. Mais la nature est faite pour qu'en cas de disparition ou de mortalité, l'espèce puisse continuer à fonctionner, avec des individus en santé.  

La vie sociale du loup est, finalement, très proche de la nôtre, au travers de la naissance, de l'éducation et de la cohésion sociale. Les liens forts unissant les membres, le respect, l'organisation et la communication ressemblent donc à notre mode familial. Il n'est jamais fait mention de tout ce qui touche aux émotions, à ce que nous appelons "l'affect" chez l'animal, d'autant plus lorsqu'il est sauvage (la loi nous forçant, fort heureusement, à les prendre en compte pour nos animaux domestiques, même si c'est loin d'être encore suffisant). Pourtant, ils existent bel et bien, d'autant plus dans une espèce aussi sociale et collaborative que le loup. La réaction d'un individu à la perte d'un membre de sa meute, les conséquences, la restructuration, les enjeux et conséquences sont rarement évoqués, pourtant c'est aussi une des clés pour mieux comprendre le fonctionnement d'une espèce et l'éventuelle façon de la gérer.

Quelques exemples montrent pourtant ce que beaucoup préfèrent ignorer : tout animal ou être vivant ressent la douleur, la dépression, le chagrin, la frustration, le deuil. Une vidéo montrant la réaction du couple reproducteur à la perte d'un louveteau sur le territoire, ne répondant pas à leurs appels, est assez édifiante. Le stress devient vite perceptible, allant si loin que la femelle reproductrice, au retour de son louveteau au bercail, a eu besoin de temps avant de pouvoir l'approcher et aller de l'avant (nécessité de faire redescendre toutes les émotions négatives que cela a engendré). Cette situation met en lumière les solides liens sociaux et les émotions vécues par les loups. En Suisse, le cas d'un louveteau ayant subi une blessure lors d'un tir de braconnage (arrière-train) est assez parlant. Le jeune a suivi la meute jusqu'à ce que son état se détériore. Il a été laissé dans un endroit et, tous les soirs, il appelait les siens au travers de hurlements plaintifs. Ces derniers lui répondaient et venaient le trouver, avant de devoir le laisser pour aller chasser. Ce jeune est mort près de 3-4 mois après sa blessure, provenant d'un acte stupide, condamnable pénalement et bien souvent pratiqué dans nos contrées. Un autre exemple est celui du tir du mâle reproducteur d'une meute valaisanne, en hiver 2024. Sa disparition a entraîné des appels tous les soirs, pendant des semaines. La femelle, tout comme la meute dans son intégralité, le cherchaient, désespérément. Cela montre également la profondeur des liens unissant le couple reproducteur. Peut-être est-il plus facile pour l'humain d'ignorer la sensibilité et l'affect des animaux ou encore la puissance des liens sociaux chez le loup mais la réalité est que, tout comme chez nous, ils existent !   

Pour conclure, il est nécessaire de comprendre qu'une meute, c'est une famille ! Le loup a donc un fonctionnement et des moeurs totalement différents de ses proies, qui vivent en solitaire, en groupe ou en harde mais sans liens familiaux entre tous les membres et qui n'ont aucun besoin d'une quelconque organisation ni d'effectifs spécifiques pour se nourrir ! Nous ne pouvons donc les gérer de la même manière ! Tant que nous n'aurons pas compris ce fait, les erreurs dans la gestion du loup seront légion, avec des conséquences plus ou moins désagréables voire graves. 



Dictionnaire

Filiation                Lien de parenté unissant un individu à ses parents (louveteaux, subadultes au couple reproducteur)



Loup interactions marecottes 2023

Photo : Mission Loup

L'ANNÉE BIOLOGIQUE DU LOUP

Annee biologique du loup

REPRODUCTION & DÉVELOPPEMENT

La reproduction chez les loups est soigneusement régulée au sein de la meute. Le couple dominant est généralement le seul à se reproduire. La saison de reproduction se produit généralement entre février/mars (accouplement) et début mai pour la mise-bas, la gestation durant environ 63 jours. Les femelles donnent naissance à une portée de 3 à 6 louveteaux en moyenne, nombre qui varie en fonction des ressources disponibles, qui naissent aveugles et sourds et sont totalement dépendants de leurs mères et de la meute pour la nourriture et la protection. Le mâle reproducteur a la charge, durant les 2-3 premières semaines suivant la naissance, de nourrir la femelle, qui ne sort de la tanière que pour se désaltérer. Les soins parentaux chez les loups sont collectifs, avec tous les membres de la meute partageant la responsabilité d'élever et de protéger les louveteaux. Ce comportement instinctif favorise la survie des jeunes en leur assurant une alimentation adéquate, une éducation aux techniques de chasse et une socialisation au sein de la meute, préparant ainsi la prochaine génération de prédateurs efficaces.

Dès l'arrivée de l'automne, entre fin septembre et début octobre, les louveteaux commencent à accompagner la meute lors des chasses, observant et apprenant des techniques de chasse plus expérimentées, au travers de l'imitation. Entre l'âge de 1 et 3 ans, en moyenne entre 9 et 24 mois, les jeunes loups, appelés "yearlings" la première année puis subadultes, quittent leur meute d'origine pour trouver un nouveau territoire et partenaire, afin de fonder une meute. Ils peuvent également en rejoindre une autre, prendre la place d'un reproducteur déchu ou disparu. Dans certains cas, faisant souvent suite à une régulation trop importante des effectifs (tir légaux, chasse) au niveau régional, une subadulte peut même s'éloigner, s'accoupler et revenir dans sa meute d'origine pour ainsi permettre à la meute d'avoir deux reproductions annuelles et tenter de combler les pertes subies. Ces comportements de dispersion sont aussi essentiels pour assurer la diversité génétique, en permettant la reproduction entre individus non apparentés provenant de différentes régions. Cela renforce la résilience génétique et l'adaptabilité aux changements environnementaux.

Ce phénomène de dispersion est, selon les spécialistes, dicté, en outre, par la maturité sexuelle, la personnalité de chaque loup et le réservoir de proies disponibles, ce sont des facteurs déterminants. Les individus ayant un fort caractère, cherchant à prendre le dessus sur le couple reproducteur choisiront soit de partir de leur propre chef au moment de la reproduction (où le mâle et la femelle reproductrice sont plus intolérants avec les subadultes, les conflits étant alors plus fréquents) ou d'être chassés parce qu'ils perturbent l'équilibre de la meute.

Nous tenons à préciser également que si des loups solitaires sont aperçus à certaines périodes de l'année, souvent pas plus d'une ou deux fois, près de villages ou de mayens, ceci est facilement explicable. La première raison est simple : ce loup est un disperseur, probablement jeune, inexpérimenté, ne connaissant pas le territoire sur lequel il se trouve. Il cherche alors, tout simplement, à le traverser (vallées, rives de fleuves, plaines, etc.). Il se confronte donc à la civilisation humaine bien malgré lui, ayant même été, parfois, dérangé par des randonneurs ou personnes pratiquant leurs loisirs en amont. Mais il y a également une explication très claire du pourquoi ces rencontres ont lieu en journée, outre le fait que nous dormions la nuit : tout disperseur le sait, ses jours peuvent être comptés s'il traverse le territoire d'une meute et se retrouve face à elle. Comme les loups chassent et se déplacent majoritairement la nuit, le disperseur choisit donc de le traverser en journée, en évitant ainsi de croiser le couple ou la meute en place sur le territoire ! Il minimise ainsi les risques de conflits, pouvant lui être fatals. Ce comportement n'a donc strictement rien à voir avec une quelconque "perte de la crainte de l'homme" dans ces circonstances. Il est nécessaire de baser nos évaluations non sur des impressions & opinions personnelles, anthropomorphiques de surcroît, mais bien sur l'éthologie ! Cette branche scientifique, étudiant les comportements des êtres vivants, permet de mieux comprendre pourquoi un animal applique tel ou tel comportement, en fonction de son environnement, des situations, etc. Elle donne un meilleur accès à la connaissance des espèces vivantes. 

En ce qui concerne le record de dispersion, il est détenu par un loup parti des Carpates et qui s'est établit en Espagne, prénommé "Slava". Le second loup ayant effectué une dispersion assez impressionnante se nomme M237 : jeune mâle, né dans la meute de Stagias (Grisons), il a atteint la frontière de la Slovaquie avant d'être, malheureusement, tué par un tir de braconnage, effectué par un enfant de 9 ans qui accompagnait son père ! Il était équipé d'un radio collar (collier GPS) qui a donc enregistré son incroyable épopée, qui s'est étendue sur 1927 kilomètres (au sol). Selon les études et observations, les femelles dispersent moins loin et s'établissent souvent proches de leur meute de naissance. Nous avons ce cas en Valais et dans le Jura Vaudois. Le monde du loup est très complexe et nous le disons clairement : celui qui pense que nous pourrons tout savoir ou croit qu'il maîtrise totalement son sujet, est très naïf ou vantard car cela ne sera, très certainement, jamais possible avec tout ce qui touche au vivant.  

Mais avant de s'établir dans un nouveau territoire, les jeunes loups peuvent entreprendre ce que nous appelons des "excursions" exploratoires sur de courtes distances. Ces excursions leur permettent d'évaluer les ressources alimentaires disponibles, la présence d'autres meutes concurrentes et la qualité générale de l'habitat. Elles ont aussi pour but de leur apprendre à chasser et vivre seul, ce qui va leur permettre de développer une expérience, fort utile pour leur prochain départ en dispersion. Pendant cette phase, les jeunes loups explorent le territoire de leur meute ou les abords, en solitaire. Ils peuvent partir quelques heures, jours voire semaines et parcourir des distances considérables.  Que ce soit lors de phases d'excursion ou lors de la dispersion, les jeunes loups peuvent avec des interactions amicales mais aussi agonistiques avec d'autres loups/meutes, notamment lorsqu'ils traversent leurs territoires. Dans de rares cas, cela peut même entraîner la mort. Depuis 1998, seule une louve, la femelle reproductrice de la meute du Ringelspitz (GR), aurait subi la loi de ses congénères, retrouvée en janvier 2021 près de Pigniu. Mais d'autres cas similaires pourraient exister, sans que les corps aient été retrouvés.

Il est nécessaire de savoir que la mortalité, chez le loup, est très élevée : elle se monte à 40 à 50% la première année de vie (faiblesse génétique, malformation, accidents, autres prédateurs éventuels) et grimpe jusqu'à 60-80% les deux suivantes (accidents de la circulation ou naturels, braconnage, tirs légaux ou conflits intraspécifiques). Au final, le loup n'a qu'une espérance de vie de 5 à 7 ans dans la nature. Le record, sur le territoire helvétique, est actuellement détenu par F07, femelle fondatrice de la première meute suisse en 2012, dans le Calanda (Grisons). Elle a dû être abattue suite à une détérioration de son état de santé (tumeur aux poumons révélée après l'autopsie) à l'âge de 13-14 ans. Mais, vous le devinez, ce genre de cas est extrêmement rare, surtout aujourd'hui que la régulation préventive vient complètement brasser les cartes, en tirant des individus de manière arbitraire et sans prise en compte de leur âge ou de leur rôle dans la meute. L'espèce Canis lupus se régule donc déjà par elle-même, ne serait-ce que par la mortalité naturelle et humaine (sans les tirs) et l'absence éventuelle de reproduction lorsque les proies viennent à manquer ou que les territoires deviennent saturés. Malgré que beaucoup continuent de le croire et de le clamer, il est temps de mettre les choses au clair : il n'y a pas de croissance exponentielle infinie chez les prédateurs !

 


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Photo : F. Bruggmann

COMMUNICATION & COOPÉRATION

La communication joue un rôle vital dans la vie sociale des loups. Ils utilisent une variété de vocalisations pour transmettre des informations complexes entre les membres de la meute. Les hurlements, les grognements, les gémissements et d'autres vocalisations servent à coordonner les activités du groupe, à alerter sur les dangers et à renforcer les liens sociaux. Chaque membre de la meute est capable de reconnaître les vocalisations individuelles des autres membres, ce qui facilite la coordination des activités collectives comme la chasse et la défense du territoire.

En plus des vocalisations, les loups utilisent des signaux visuels et olfactifs pour communiquer. Les postures corporelles tels que la queue dressée, les oreilles couchées et les poils hérissés transmettent des messages sur l'état émotionnel et la position sociale. Les signaux olfactifs, au travers de marquages territoriaux avec l'urine et les excréments, jouent un rôle crucial dans la délimitation et la défense passive des territoires de chasse et de reproduction.

La coopération est particulièrement manifeste lors de la chasse. Les loups utilisent des stratégies de groupe, notamment lorsqu’il s'agit de grands herbivores comme le cerf, qui suivent un processus bien défini. Initialement, les loups approchent silencieusement leur proie, profitant de leur capacité à se fondre dans leur environnement. Une fois à proximité de la proie, les loups peuvent se figer et évaluer la situation, prêts à passer à l'action si la proie devient accessible. En un mouvement coordonné, ils se lancent vers leur cible.  Si la proie tente de s'échapper, la poursuite peut s'étendre sur plusieurs centaines de mètres avant que les loups ne passent à l'attaque. Lorsque la distance est réduite, ils exploitent leur force collective pour capturer efficacement la proie.

Dans certaines circonstances, au sein même d'une meute, il arrive donc que des individus chassent en solitaire. Cette capacité à chasser seul peut être observée dans des situations particulières où les conditions environnementales ou les opportunités de chasse le favorisent. Dans certaines zones où les proies sont abondantes et relativement faciles à capturer, un loup peut choisir de chasser seul pour maximiser ses chances de succès, soit pour compléter les apports aux louveteaux soit pour son propre compte, sans partager la nourriture avec d'autres membres de la meute. Cela a lieu également lorsqu'il rencontre des opportunités imprévues, comme la présence soudaine d'une proie à portée. Mais il est clair que l'organisation d'une meute permet de prédater des proies plus facilement mais aussi de plus gros gabarit, l'union faisant la force.

La chasse en solitaire peut se révéler, elle, beaucoup plus ardue, conduisant alors les jeunes loups, disperseurs ou en excursion, à se rabattre plus facilement sur des proies plus faibles, enfermées, ne pouvant fuir, soit nos animaux d'élevage. L'opportunisme fait partie des nombreux points communs que nous avons avec le loup. C'est aussi pour cette raison que la régulation, à l'intérieur de meutes et de manière totalement anarchique et arbitraire, peut se révéler à double tranchant : toute destructuration dans la cohésion sociale, l'organisation d'une meute, surtout l'éventuelle disparition d'un ou des deux membres du couple reproducteur, peut entraîner la dispersion rapide et incontrôlée de jeunes loups, possiblement inexpérimentés ou n'ayant pas achevé leur formation de chasse. Devenant solitaires, sans organisation ni soutien, ils vont alors commettre plus de dégâts sur les animaux d'élevage, ce qui est logique mais surtout, totalement contreproductif.



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Photo : Mission Loup

GESTION DU TERRITOIRE

Une meute de loup possède un territoire, appelé "domaine vital", oscillant entre 100 et 250 km2. En Suisse, actuellement, il serait, en moyenne, de 150 km2 dans les cantons ayant une forte densité de loups et donc de meutes (Valais & Grisons).

Le choix du territoire se base, en premier lieu, sur le réservoir de proies disponible, un facteur des plus importants. Mais il est également vital pour le loup d'avoir des zones de repli, sous la forme de forêts, de champs, afin qu'il puisse se soustraire aux différents dangers, se cacher et protéger ses louveteaux. Mais l'expansion humaine de ces cinquante dernières années a réduit les espaces disponibles pour la faune et le loup, ce qui fait que ces derniers doivent désormais s'acclimater à notre présence, de manière plus appuyée (et non l'inverse, l'humain s'étant largement étendu et pratiquant nombre de ses loisirs dans la nature depuis  2-3 décennies). Ils apprennent donc à nous décoder, à savoir à quel moment nous représentons un réel danger pour eux et cela mène donc à des rencontres qui peuvent être plus fréquentes que dans de vastes territoires sauvages. Certaines meutes, en Italie, vivent même à proximité de villages depuis des décennies, sans pour autant que cela ait une incidence quelconque sur des éventuels conflits, du moment que nous respectons les règles simples qui vous seront expliquées dans ce dossier.

Les massifs montagneux ne représentent aucun problème pour le loup, il les affectionne particulièrement car ces derniers accueillent également des forts effectifs d'ongulés et cervidés, qui restent les proies favorites du prédateur. Notre pays abrite donc toutes les conditions requises pour que le loup s'établisse, si nous nous basons sur ses besoins en termes de territoire et de réservoir alimentaire. 

La meute établit sa tanière et le(s) lieu(x) de rendez-vous au centre de son domaine vital. Cette zone fait quelques kilomètres carrés et est très fréquentée de mai à septembre, au moment de la mise-bas et de l'éducation des louveteaux. A l'intérieur de cette zone, aucun individu étranger à la meute n'est toléré. Tout solitaire qui le traverserait serait alors en danger de mort, surtout à cette période sensible. 

Contrairement à ce que beaucoup continuent de penser, les meutes n'ont pas des territoires bien délimités, qui ne se touchent pas, bien au contraire. Il arrive très fréquemment qu'une partie de leur territoire chevauche celui de la voisine, c'est ce que nous appelons les "zones tampon" (buffer zones). Sur ces zones, il y a des marquages fréquents pour signifier sa présence à la meute voisine, une communication olfactive obligatoire. La gestion de ces buffer zones est assez complexe et dépend notamment des liens familiaux unissant des meutes entre elles mais aussi et surtout les effectifs de chacune d'elle. Des rencontres entre deux meutes dans ces zones conduiraient à des conflits, pour défendre le territoire. Il est évident que les effectifs seront alors primordiaux : une meute de 10 individus l'emportera sans peine sur une de 4 individus. Et celle ayant les effectifs les plus bas pourrait donc subir des pertes à l'interne, ce qui est contreproductif pour sa survie. L'étude de Kira Cassidy "Pack dynamics in Yellowstone" explique parfaitement l'importance des effectifs dans la gestion de ces zones tampon. Malheureusement, elle n'est pas disponible actuellement mais nous avons eu la chance de suivre sa formation en 2023 et les données étaient très intéressantes, le fruit d'un long travail de recherches.

Si on se projette sur un exemple de terrain, chez nous, nous pourrions aborder le cas de la meute du Marchairuz. La première portée est née en 2019, puis il y en a eu une chaque année jusqu'en 2022. Comme mentionné plus haut, les subadultes femelles ayant tendance à moins s'éloigner pour fonder leur propre meute (des exceptions existent, attention), dans le cas présent nous avons une situation claire : les meutes voisines du Risoux et du Mont-Tendre avaient, à la base, une femelle provenant de la meute du Marchairuz à leur tête. Cela montre bien la dynamique des meutes sur le terrain. Et lorsque cela arrive, il n'est pas rare que la meute d'origine ait une zone tampon avec les autres voire lui cède une partie du territoire. 

Malheureusement, aujourd'hui en Suisse, il n'est que peu fait mention de ces zones tampon, qui sont même parfois totalement ignorées des autorités officielles. Et cela est particulièrement préjudiciable dans le cadre de la régulation de meutes, où les périmètres de tir ne prennent pas voire peu en compte ces zones. Il serait alors nécessaire de ne procéder au tir que dans le centre du domaine vital, pour être certain de ne prélever que des individus appartenant à la meute visée, comme le signifie l'autorisation adressée à l'OFEV. L'exemple le plus criant est celui des meutes de Ferpècle/Arolla et d'Hérens, lors de la phase de tir de régulation préventive cet hiver. La non prise en compte d'une fameuse zone tampon (pourtant clairement visible en comparant simplement les données officielles et publiques) au profit de l'établissement du tir sur l'ensemble du territoire, a mené au tir du nouveau mâle reproducteur de la meute de Ferpècle, non concernée par une autorisation de tir. Un louveteau pourrait également faire partie des victimes collatérales. Au final, au lieu de prélever des individus de la meute réellement visée (Hérens), les tirs ont également déstabilisé la meute voisine. Aujourd'hui, deux meutes ont donc perdu leur mâle reproducteur, ce qui conduit à des mouvements à l'interne, à une réorganisation et pourrait également mener à une possible dispersion plus rapide des subadultes ou à une éventuelle augmentation des attaques sur les animaux d'élevage. La connaissance et la prise en compte de ces zones tampon sont donc vitales, ceci afin d'éviter les erreurs, aux conséquences néfastes autant pour le loup que pour les éleveurs !

La gestion du territoire d'une meute est donc évolutive, tout au long de sa vie. Elle peut décider de le délaisser au profit d'un autre, plus prolifique ou lui fournissant une meilleure sécurité. Les lieux de la tanière et de rendez-vous peuvent changer d'une année à l'autre également, en fonction de certains facteurs tels la pression humaine, les conditions météorologiques, des blessures à l'interne, ou si l'un, voire les deux, membres du couple reproducteur ont changé dans ce laps de temps, etc. Rien n'est donc jamais figé avec le loup, que ce soit son territoire, son fonctionnement organisationnel ou encore ses effectifs.
 

Dictionnaire

Lieu de rendez-vous     Endroit où la meute laisse les louveteaux, durant les mois de juillet/août/septembre pendant qu'elle part à la chasse.
OFEV                          Office Fédéral de l'Environnement
 

  

Yellowstone pack 2023

Plan des meutes à Yellowstone 2023 - "Yellowstone wolf project annual report"    

CONCLUSION

En conclusion, le fonctionnement du loup est un exemple remarquable de comportement social adaptatif et complexe parmi les espèces animales. Comprendre sa structure sociale, sa stratégie de reproduction et son rôle écologique est essentiel pour apprécier pleinement cet animal emblématique et pour guider les efforts de conservation visant à protéger son habitat et à assurer sa survie à long terme dans nos écosystèmes fragiles.


CHAPITRE SUIVANT : LE LOUP DANS L'HISTOIRE

 

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Photo : Paul Browning

Date de dernière mise à jour : 08/08/2024