Aujourd'hui, un seul canidé provoque encore une peur autant irrationnelle qu’irraisonnée dans nos contrées : le loup. Contrairement à ce que nous pourrions penser, elle n’est pas basée sur une longue liste d’attaques ou de morts causées par le prédateur sauvage depuis l’évolution et l'apparition de notre mode sociétal, au milieu du 20ème siècle. Elle a surtout été cultivée, entretenue au travers de l’image que nous avons faite du loup, notamment dans les contes, récits anciens, mythes et, par la suite, dans le cinéma. Le canidé se retrouve dans la même galère que le requin, mis à « l’honneur » dans la fameuse saga « Les Dents de la Mer » de Steven Spielberg dans les années 70. Ce film, un gros succès au box-office, a provoqué une vague de peur sans précédent, conduisant au massacre de plusieurs centaines de millions de spécimen et provoquant la consternation et les excuses de Spielberg, des décennies plus tard. Le loup a, lui aussi, toujours vu son image représentée de manière très négative, entre attaques sanglantes sur l’homme, positions menaçantes, toute canine dehors, ou dévorant les chiens de Rémy « Sans Famille » ou La Mère Grand du Petit Chaperon Rouge.
La vision n’est guère enchanteresse et, couplée à l’histoire, a laissé des traces certaines dans l’imaginaire collectif. Tout comme le nombre de récits et légendes des siècles passés, où le loup est vu déchirer les chairs et manger des cadavres dans un paysage de désolation et de misère, dues aux guerres et épidémies meurtrières, comme nous le verrons plus loin.
Très nombreux sont les cas, dans les registres et autres documents officiels entre 1300 et 1800, où il devient ardu de dissocier le fantasme, les affabulations, sur fond d'une profonde méconnaissance du canidé, de la réalité. Nous pouvons citer, comme exemple, la célèbre Bête du Gévaudan, ce fait divers du 16ème siècle, qui est resté dans les mémoires sans que nous puissions, aujourd’hui encore, identifier avec certitude le vrai coupable et quelle forme il avait. En ce qui concerne le loup et bien d'autres sujets de ces époques troublées, nombre de récits ont été inventés, exagérés, parfois même instrumentalisés, notamment sous la pression de certaines entités telle que l’Église Catholique, qui décrivait le loup comme « le diable », le symbole du mal. La chasse aux loups-garous et aux sorcières, dont le loup est considéré comme le complice, a mené à environ 100'000 procès et à 30'000 à 60'000 morts, entre 1430 et 1680. Ce n'est qu'un exemple, parmi tant d'autres, du poids des croyances à ces époques, qui pesaient nettement plus lourd car elles n'étaient aucunement contrebalancées par un accès à la connaissance et à des cursus scolaires. Ces dernières ont donc largement contribué à aggraver l’idée que la population se faisait du canidé sauvage.
Certes, le loup, tout comme son cousin le chien, ont bien attaqué et tué des humains, majoritairement des enfants et des femmes, durant le Moyen-Âge et jusqu’au début du 20ème siècle, c’est un fait. Mais on semble oublier que tous les animaux, sauvages et domestiques, peuvent interférer avec l’homme et que ces interactions peuvent s’avérer affiliatives (amicales), neutres ou agonistiques (non amicales, agressions défensives ou offensives). Et que le résultat de ces rencontres dépend d’une multitude de facteurs, certains prévisibles et d'autres non, que vous allez découvrir au fil de ce dossier. Il est donc hautement risqué voire totalement contre-indiqué de comparer ou de généraliser avec tout ce qui touche au domaine du vivant et de la nature.
Si nous voulons vraiment cesser de nourrir des peurs irraisonnées, il est alors nécessaire de les affronter. Pour se faire, nous devons donc approfondir et nous cultiver afin de démêler le vrai du faux, en prenant en compte les situations dans leur globalité. Cela demande donc de se plonger dans l’histoire, de remonter les siècles pour obtenir tous les paramètres vitaux nécessaires à la compréhension tels que les conditions de vie de l’époque, le mode sociétal, l’environnement, les circonstances, les situations, les croyances, etc. Mais également apprendre, au travers des nombreuses études et ouvrages aujourd’hui disponibles, qui est vraiment le loup, l’animal, son fonctionnement, ses mœurs, etc. Ces deux pôles, l'apprentissage et la recherche, sont indissociables si nous souhaitons mieux nous représenter la prédation sur l’homme et les circonstances dans lesquelles elle peut se produire.
Replantons donc le décor, en remontant au Moyen-Âge, période où la majorité des attaques a eu lieu. Cette époque de l’histoire, échelonnée sur plusieurs siècles, a été le théâtre de très nombreuses guerres à travers l’Europe mais aussi de grandes vagues d’épidémies, tel le choléra, la variole, la peste ou encore le typhus, faisant des centaines de millions de victimes. Les cadavres pouvaient être laissés sur les champs de bataille ou aux abords des villages (la population et les armées étant dépassées par le nombre de morts), ou brûler tant que cela était possible. Il est maintenant prouvé que le loup peut être charognard, ces fléaux lui ont donc clairement permis de se nourrir et auraient également prêté à confusion dans l’esprit de la population.
Le mode sociétal et les conditions de vie en place durant ces siècles étaient foncièrement différents des nôtres, et ce en tout point. La population (ou petit peuple comme on le nommait souvent), était nettement plus présente et étendue dans les territoires. Elle était en proie à une misère crasse, à des épisodes de famine, d’exploitation, à des hivers rudes, à des maladies provoquées par un manque d’hygiène, etc. Les préoccupations et le mode de vie de nos ancêtres étaient loin d’être identiques à ce que nous expérimentons aujourd’hui, au 21ème siècle.
Par exemple, les enfants n’étaient souvent pas scolarisés (sauf dans l’aristocratie), travaillaient à la ferme et étaient souvent utilisés pour garder les troupeaux, de jour comme de nuit. Ils effectuaient nombre de tâches et travaux, se déplaçant ou restant souvent sans surveillance, dès l’âge de trois ou quatre ans. De nombreux abandons laissaient également des bambins de tout âge à la rue, sans logement et forcés de se débrouiller seuls. De nos jours, il serait totalement impensable de pratiquer de la sorte, aucun enfant ne se retrouverait plus seul sur des estives, à garder des moutons alors qu’il n’a que 6 ou 8 ans, sans suivre de cursus scolaire obligatoire. Et aucun ne serait non plus abandonné dans la rue, livré à lui-même et isolé. Cela a clairement eu une grande incidence sur les risques encourus, pour des gamins, de se retrouver sans défense face à un prédateur, sauvage mais aussi à deux pattes ! L’exploitation des enfants n’a réellement changé qu’au 20ème siècle mais, avant cela, leurs conditions de vie étaient très rudes, la mortalité très élevée. Un nouveau-né sur 4 mourrait avant l’âge d’un an et à peine plus d’un enfant sur deux atteignait l’âge de 10 ans. Les causes principales étaient les maladies/épidémies (absence de vaccination) ainsi que l’insuffisance et les carences alimentaires. D’ailleurs, les enfants occupaient 30 à 40% des places dans les cimetières.
La malnutrition et le manque d’hygiène faisaient que les personnes étaient plus chétives, ce qui a également pu contribuer à rendre femmes et enfants plus vulnérables. Ainsi, vus comme des proies incapables de les fuir, les prédateurs, chiens errants ou loups, ont donc pu les prédater, dans des circonstances bien précises et propres à cette époque, au mode socio/économique on ne peut plus précaire. En effet, il faut noter que, durant ces siècles, il a également été constaté une disparition du nombre d’espèces proies, provoquée par la chasse excessive. Elle-même était due à la famine et aux conditions de vie assez misérables que connaissait le petit peuple, souvent écrasé par les monarchies au pouvoir.
Il est clair que sans proies sauvages, les loups et les chiens errants n’avaient plus d’autre choix que de se reporter sur les animaux d’élevage, les cadavres laissés à même le sol ou encore des victimes humaines pour se nourrir. Femmes, enfants et parfois des personnes âgées ont été, selon tous les documents d’archives (ordonnances, édits, registres paroissiaux), les catégories les plus concernées par les attaques de prédation. Nous savons, effectivement, que le canidé est un opportuniste qui verra, si les proies naturelles commencent à manquer, surgir son instinct de survie, comme toute espèce. Cela le poussera alors à s’attaquer à des proies n’étant pas dans son registre habituel, fort logiquement. À situation exceptionnelle, comportement inhabituel !
Dans des circonstances identiques, soit des conditions précaires où la nourriture viendrait à manquer et que sa survie serait menacée, l’humain est également confronté à la survenance de comportements ne faisant pas partie de sa nature, tels que le vol, l’agression voire le meurtre, pour tenter de sauver sa vie ou celle de ses proches. Les récits de camps de prisonniers ou de concentration ou d’époques de grande famine, en parlent ouvertement. Un fait divers, extrême certes mais véridique, du crash de l’avion « Fuerza Aérea Uruguaya 571 » dans les Andes, le 13 octobre 1972, où les rescapés se sont nourris de leurs congénères morts pour survivre, est un autre exemple de l’instinct de survie également bien présent chez l’humain. N'oublions pas que, sur le fond, nous ne sommes qu'une espèce animale parmi des millions d'autres.
Au Moyen Âge, nous pouvons également citer la difficulté à identifier/différencier les canidés et donc les responsables des attaques. Entre les chiens errants, souvent en meutes, les loups, la période horaire des attaques, la distance, l’environnement, l'adrénaline, le choc, la situation et le manque de connaissances de la population, les témoins ou victimes d’attaques ou morsures peinaient à établir, avec certitude, l’identité du coupable. D’ailleurs, dans les registres paroissiaux, où sont consignés toutes les naissances et décès de la population, les mentions variaient entre « bête cruelle, dévorante, féroce, ravissante » ou encore « animal incertain », « animal étranger au pays ». Environ 400 cas portant ces mentions ont été répertoriés sur deux siècles, seulement dans la région de Beauce en France (6000 km2). Aujourd'hui encore, nombre de personnes peinent à différencier un loup d'un chien, les erreurs d'identification sont encore légion.
Cette difficulté à obtenir des informations fiables, menant au vrai coupable, est également présente dans les témoignages concernant la Bête du Gévaudan. Durant les 3 années qui ont jalonné son parcours meurtrier, durant lesquelles elle a tué 120 personnes et en a blessé 70 autres, cette dernière a changé de forme, de couleur ou d’aspect nombre de fois, oscillant tantôt entre la panthère, le loup, l’humain avec des grandes griffes en fer, etc. Il est donc litigieux de se baser sur les récits et écrits présents dans les registres, édits, archives ou chroniques, trop de doutes subsistent en l’absence de preuves médicales/ADN permettant d’établir non seulement les réelles causes de la mort mais aussi de désigner le vrai responsable.
A ces époques, une maladie virale a également mis à mal la cohabitation avec l’humain, provoquant de très nombreuses attaques : la rage ! Elle touche le système nerveux et est caractérisée par des altérations du comportement (agressivité caractérisée), des troubles locomoteurs, de l’hypersalivation et des paralysies. Elle se transmet par une simple morsure et provoque la mort du sujet contaminé dans un délai très court. Ce fut un vrai fléau durant ces siècles et bien que la Suisse ait été reconnue officiellement indemne de la rage en 1998, cette maladie est encore bien présente aujourd’hui et tue, dans nombre de pays du monde, majoritairement sous-développés, plus de 10'000 personnes par année. La rage est, selon John Linnell, auteur du fameux rapport « NINA » relatant les attaques de loups sur l’homme au 20ème et 21ème siècle, la raison principale des incidents ou morts ayant touché l’homme, durant ces siècles mais encore aujourd’hui, comme vous le découvrirez dans le sujet sur les attaques de loup.
Et le dernier point, non négligeable, c’est la difficulté à obtenir des preuves médicales irréfutables sur les corps trouvés. Durant le Moyen-Âge, les connaissances et méthodes étaient bien plus sommaires qu’aujourd’hui. Les autopsies ne pouvaient avoir lieu, d’ailleurs, que sur le lieu de la mort, effectuées par un « barbier/chirurgien ». Elles étaient moins systématiques et ne permettaient absolument pas d’approfondir, comme nous le pouvons aujourd’hui. Grâce à l’apparition des analyses ADN, au milieu des années 1990, il est maintenant possible de trouver l’identité du vrai coupable (sur des millions de personnes) ou encore de différencier le chien du loup.
Malheureusement, durant les siècles passés, ce procédé était inexistant. Les autopsies et les connaissances médicales n’ont vraiment pris un grand essor qu’au début de 1800, avec l’apparition du microscope, de la radiographie ou encore de la toxicologie.
Il faut également rajouter à cela l’état du corps et le délai écoulé entre la mort et la découverte de ce dernier. En effet, si la victime n’était pas trouvée immédiatement (ce qui était fréquent), si des heures, des jours voire des semaines s’étaient écoulés et en tenant compte des effectifs de chiens errants, de loups et d'autres plus petits prédateurs (renards, fouines, rongeurs, corbeaux etc.), il est clair que les victimes étaient alors retrouvées dévorées. Les corps étaient dans un état tel qu’il était quasiment impossible d’établir les vraies causes de la mort. Et même si le corps était trouvé plus rapidement, il n'existait aucun moyen de le conserver au froid à ces époques, élément pourtant primordial pour établir des autopsies.
Dès lors, il en va sans dire que nous devons être très précautionneux en ce qui concerne les « diagnostics » sur les causes de la mort, en nous basant que sur des témoignages visuels ou des écrits dans des registres paroissiaux. Ce sont les criminels à deux pattes qui ont dû bien profiter durant ces siècles : leurs méfaits pouvaient être facilement couverts en abandonnant le corps dans la nature, laissant ensuite les prédateurs s’en charger et leur faire ainsi porter le chapeau.
En prenant en compte tous ces faits et paramètres, le bon sens nous force donc à nous munir de la plus grande prudence en ce qui concerne les attaques de loup durant ces siècles troublés et foncièrement opposés à nos modes sociétaux actuels. Vous l’avez compris, il est extrêmement compliqué, aujourd’hui, de faire la lumière sur les attaques qui ont réellement été commises par le loup et d'en identifier les causes réelles. Elles pouvaient donc provenir d'attaques défensives ou prédatrices (souvent provoquées par la rage, la disparition de proies sauvages ou l’habituation), de "nettoyages" des cadavres ou lui avoir été simplement attribuées à tort, pour toutes les raisons mentionnées précédemment, dont le manque de preuves irréfutables.
En conclusion, il est très préjudiciable (et toujours déconseillé à vrai dire) de faire des comparaisons entre les époques, les modes sociétaux, les environnements, les circonstances ou encore les situations. Il serait temps que la dangerosité du loup cesse d'être instrumentalisée par les partis politiques, qui s'en servent pour instaurer un climat de peur, idéal pour manipuler les foules et ainsi tenter d'obtenir son éradication. C'est un procédé utilisé depuis la nuit de temps. Ce dossier spécial vous montrera, de manière claire et transparente, la réalité soit les vrais dangers qui pèsent sur l'humain en ce qui concerne les canidés et sa haute part de responsabilité !
Dans notre mode sociétal actuel, aujourd’hui en Suisse, tout a complètement changé, évolué, nous sommes à des lieux du Moyen Âge. Le loup ne représente donc plus le même danger qu’autrefois, tout simplement car la façon dont nous vivons, la maîtrise de virus telle la rage mais surtout les études scientifiques et l'éthologie nous permettent de bien mieux comprendre les mécanismes du vivant (instincts, comportements, mœurs, communication, fonctionnement, etc.). Nous pouvons ainsi mieux appréhender l'animal, les rencontres et de ne pas reproduire des gestes ou des actions pouvant conduire à l’attaque/agression. La gestion des espèces proies, dont les effectifs sont stables et même en excellente santé pour le cervidé, les informations transmises dans les médias et entités officielles concernant l’interdiction de nourrir des animaux sauvages et la gestion des déchets dans nos contrées sont la clé pour une coexistence avec le moins de heurt possible entre le canidé sauvage et l’homme.
Comme le sujet est passionnant et prendrait des centaines de pages pour être abordé en détail, nous conseillons aux personnes intéressées à creuser le sujet de l'histoire du loup au travers des siècles passés, de lire les excellents ouvrages de l'écrivain/historien Jacques Baillon. Notamment "Traces de loups" & "Drôles de loups et autres bêtes féroces". Vous pouvez cliquer ici pour les commander (en France).
Dictionnaire
Mode sociétal Qui se rapporte aux divers aspects de la vie sociale des individus, en ce qu’ils constituent une société organisée.
Comportement Ensemble des réactions observables chez un individu, des actes qu’il fait, placé dans son milieu de vie et dans des circonstances données.
ADN Molécule support de l’information génétique héréditaire (acide désoxyribonucléique).
Hypersalivation Production excessive de salive.
Photos : L. Camy, Institut Pasteur, LIAGE
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