La peur est certes encore bien présente mais qu’en est-il vraiment des attaques de loup aujourd’hui, dans nos pays développés et notre mode sociétal actuel ? Considère-t-il vraiment l’homme comme une proie ? Comme nous l’avons vu précédemment, nombre de théories sur le loup et ses attaques sur l’homme ont traversé les siècles, plus souvent négatives que positives. La connaissance concernant le prédateur n’a vraiment émergé qu’au milieu voire à la fin du 20ème siècle ; avant cela ses mœurs et fonctionnement étaient fort méconnus donc majoritairement interprétés, sans recul ni savoir. Il était alors vu comme une bête sanguinaire, cruelle, capable de tuer pour le plaisir uniquement, le diable, un psychopathe du règne animal. Et ce, notamment, à cause des attaques de masse sur les troupeaux, tuant plusieurs bêtes et en laissant d’autres agonisantes, un spectacle insoutenable pour les éleveurs et bergers, assurément.
Aujourd’hui, nous savons que ces tueries de masse ne proviennent non pas d’une déviance comportementale pathologique ni d’une quelconque perversion ou cruauté (ces dernières étant l’apanage exclusif de l’humain) mais bien d’un instinct, propre à d’autres espèces tels le chien, le renard, la fouine, la hyène, etc. Le « Surplus Killing », que nous appelons aussi « tuerie ou prédation excédentaire » est dû à l’instinct de prédation des prédateurs, qui tuent plus que ce qu’ils ont besoin de consommer. Mais lorsque cela arrive, il y a des conjonctures spécifiques existantes :
- la faiblesse des proies domestiques, due notamment aux divers croisements & manipulations génétiques apportées par l'humain, à l'encontre d'une évolution dite naturelle (soit à l'inverse des proies sauvages). Cela les rend incapables de fuir le prédateur et de se mettre à l'abri, sur des zones non accessibles à ce dernier.
- un environnement où les proies sont temporairement immobilisées ou vulnérables, telle une forte quantité de neige ou des proies prises au pièges dans un enclos ou des espaces clos.
- une faiblesse dans la protection des animaux d’élevage (pas suffisamment de moyens de protection voire, parfois, aucun --> pâturages non protégeables notamment). Il est essentiel de rappeler que les clôtures seules, sans berger ni chien, peuvent avoir une durée d’efficacité limitée dès lors que le prédateur a compris comment y pénétrer, souvent aider par la déclivité et l'environnement (rocher, irrégularité du sol, trous, etc).
Lors de ces prédations excédentaires, le loup va être excité par les mouvements de panique de ses proies, tentant de le fuir et il mord, griffe, tue tant que ça continue de bouger, parfois après le début de la consommation voire revient plusieurs fois dans la nuit. C'est instinctif, étant donné qu'il ne sait pas quand sera la prochaine fois qu'il pourra manger. Les dégâts sont alors conséquents, choquants et laissent les éleveurs dans l’abattement et l’incompréhension puisque le loup n’a, finalement, ingurgité que la quantité de viande lui étant nécessaire. Dans la nature, il reviendrait manger ses proies les jours suivants. Cependant, comme tout instinct, le Surplus Killing » n’est pas contrôlable ni modifiable, ce qui demande alors que la protection mise en place soit la plus complète possible, au travers de la présence de chiens de protection, d'un berger et de clôtures électrifiées aux normes. Ce trio est reconnu depuis longtemps, notamment dans les pays ayant toujours vécu avec le loup voire d'autres prédateurs. Ce système permet d'éviter ces fameuses tueries excédentaires grâce à l'intervention des chiens et du berger, il est nécessaire de le clarifier. Aujourd'hui, l'aberration est de continuer à mettre des moutons sur des pâturages qui ne permettent aucun moyen de protection, ce qui apprend les mauvais comportements au loup selon de récentes études italiennes. Outre le fait qu'il prenne l'habitude de s'attaquer aux animaux d'élevage non protégés, cela le rend également plus insistant le jour où une protection est mise en place.
Entre les attaques sur les troupeaux et son lourd passif dans nos imaginaires, le loup fait partie, encore aujourd’hui, des espèces animales qui génèrent des positions très extrêmes au niveau « cote de popularité », faisant immédiatement basculer le sujet dans l’émotionnel pur, surtout dans les sphères politiques malheureusement. En effet, il peut être haï par certains et adulé par d’autres, ces deux extrêmes étant, somme toute, hautement négatives, ne menant nullement à la connaissance et à une vision approfondie, rationnelle et factuelle de l’animal ainsi que de la situation.
Dans le thème qui nous intéresse, la vision et l'opinion vont, fortement et logiquement, orienter les positions des détracteurs ou des « fans » du loup quant au danger ou non que peut représenter le canidé sauvage pour l’homme. Il est clair qu’une personne admirant le loup et une autre en ayant clairement peur ou ne l’aimant pas, n’auront absolument pas la même perception au moment d’une rencontre. La notion du temps, du danger ou encore les comportements adoptés varieront donc, en fonction de la personne et de son ressenti, positif (pas peur, fascination) ou négatif (peur ou haine). Malheureusement, dans le second cas, la méconnaissance et la peur peuvent engendrer de mauvais réflexes ou réactions, aux conséquences alors plus problématiques.
Nous allons donc reprendre, en résumé, les écrits de John Linnell afin de vous montrer où nous en sommes, au 21ème siècle, de la connaissance du loup et de l’état des attaques sur l’homme, morsures ou prédations mortelles. Là encore, démêlons le vrai du faux !
Voilà une statistique de l’ensemble des attaques ayant eu lieu dans le monde, entre 2002 et 2020 :
- 489 attaques, au total, ont été dénombrées, dont 26 cas mortels.
- 78% des attaques répertoriées (non létales et létales) provenaient de loups enragés, soit 380 sur 489.
- 14 décès sur les 26 recensés sont dus à des morsures d’individus atteints de la rage : la Turquie (9 cas), le Kazakhstan (1 cas) et l’Inde (4 cas).
- 12 attaques prédatrices mortelles (sans provocation humaine ni en lien avec la rage) ont eu lieu entre 2002 et 2020 : l’Iran (6 morts), la Turquie (3 morts), le Tadjikistan (1 mort), les Etats-Unis (1 mort) et le Canada (1 mort). Pour ces deux derniers, notons que le loup du continent américain est plus imposant que le loup gris européen puisque la souche présente en Suisse pèse, en moyenne, 38kg alors que son cousin américain/canadien peut atteindre 50 à 70kg. Ces deux attaques ont également eu lieu dans des régions très isolées et reculées, où le niveau d’anthropisation du paysage n’est aucunement comparable à celui que nous trouvons dans les Alpes.
La majorité de ces attaques de prédation ont eu lieu dans des contextes qu’il est nécessaire d’approfondir, pour mieux comprendre. En effet, elles sont survenues dans des régions surpeuplées et où les conditions socio-économiques sont extrêmement précaires. Cela nous rapproche donc du mode de vie sociétal du Moyen Âge. Dans ces zones, il est également constaté un manque de proies naturelles, ce qui contraint donc le loup à chasser les animaux d'élevage. L'élimination des déchets, une réelle catastrophe dans ces pays sous-développés, permet aussi aux prédateurs de relier l'homme à l'accès facile de nourriture. Le contexte menant à des attaques prédatrices est donc grandement favorisé une fois tous ces éléments mis bout à bout, logiquement.
Mais attention, dans un contexte où les proies sont nombreuses et les déchets correctement éliminés, ce qui est le cas dans notre pays aujourd'hui, la proximité du loup avec l'homme peut avoir également un effet positif en ce qui concerne les risques d'incident ! Eh oui, l'habituation à vivre dans des lieux anthropisés réduit les réactions à certains facteurs externes et le loup augmente alors sa tolérance à la proximité des influences anthropogéniques. En d'autres termes, le fait de vivre autour de nous permet à la faune sauvage de comprendre notre fonctionnement, de s'habituer/tolérer notre présence et d'être alors moins réactive. Il est scientifiquement prouvé que les animaux qui vivent éloignés de toute civilisation humaine sont nettement plus réactifs lors de contact avec l'humain, ce qui peut engendrer plus d'attaques, défensives et prédatrices.
Aujourd’hui, nous savons qu’avec tout type de prédateurs, la gestion des poubelles et de la nourriture doit être très stricte et réglementée. Le nourrissage, qu’il soit involontaire (restes de repas jetés, ordures laissées à l’air libre) ou volontaire (attraction du prédateur pour l’observer/photographier, tenter de l’empoisonner ou provoquer son tir) est une dérive grave, qui peut entraîner des conséquences qui le sont tout autant. La population se doit de comprendre ce fait et de ne tenter, sous aucun prétexte, de laisser nourriture ou ordures sur des lieux où vivent des prédateurs.
Et, en ce qui concerne la gestion des pratiques au moment de tirs de régulation du loup, il est impératif de poser (et de surveiller leur bonne application sur le terrain) des règles strictes en ce qui concerne la pose d'appâts à proximité immédiate d'habitations et de villages, comme cela a eu lieu pendant la phase de régulation proactive en Valais, en hiver 2023/2024, preuves à l'appui. Outre le fait d'être répréhensible et stupide, cette action cache, très maladroitement, une intention de vouloir démontrer que le loup s'approche trop de l'humain et...réenclencher la peur, en arguant sur une pseudo perte de la crainte de l'homme ! Des procédures néfastes, malveillantes, que les autorités officielles devraient dénoncer et condamner publiquement, tant ces pratiques sont à l'encontre de ce que les services de l'État disent vouloir appliquer, soit un "enseignement" au loup ! Mais les dérives constatées ne vont, malheureusement, pas dans ce sens.
Pour éviter les attaques défensives, provoquées par des réactions instinctives de l'animal, il suffit de connaître le fonctionnement & les instincts du loup, ainsi que d'appliquer des règles simples lors de rencontre :
- S'arrêter lors de la rencontre.
- Laisser le temps au loup de partir ! Selon la distance vous séparant, cela peut prendre plusieurs minutes ! Cela n'a strictement rien à voir avec une quelconque "perte de la crainte de l'homme" mais provient simplement de la distance de sécurité plus ou moins importante et du besoin, pour le prédateur et tout animal, d'identifier et évaluer la situation !
- Ne pas fixer l'animal dans les yeux mais plutôt détourner le regard.
- Reculer doucement pour remettre, éventuellement, de la distance.
- Taper dans les mains et criez "va-t-en" si sa curiosité persiste (jeunes loups souvent).
- NE JAMAIS COURIR !
Il est aussi important d'éviter certaines actions, comme vouloir retirer un mouton de la gueule du loup (protection de ressource, instinct de survie), se rendre à proximité d’une tanière où la meute à ses petits (protection) ou tenter d'approcher ou toucher un individu malade, blessé ou piégé (instinct de survie). L’erreur sera alors 100% humaine, provenant d’une méconnaissance des instincts canins ou d’une provocation/bêtise délibérée.
Nous remarquons donc que les attaques de loup sur l’homme sont, très majoritairement (78%), dues à la rage et que le contexte et le mode sociétal jouent une influence claire sur le 22% restant. En se basant sur les effectifs de loups dans le monde, 60'000 sur le continent américain et environ 17'000 sur le continent européen, ces chiffres et pourcentages montrent clairement que les attaques sur l’homme sont extrêmement rares, menant la probabilité à l’ordre de 0,0000001%.
Pour éviter tout incident, il est nécessaire d’édicter des lois afin de pouvoir rapidement intervenir en cas de comportement anormal ou jugé suspect de la part du prédateur. Il est également obligatoire de maîtriser la connaissance du canidé sauvage, de savoir quels comportements, attitudes ou situations peuvent réellement augmenter les risques d’incident et procéder de manière claire, que ce soit pour la population ou pour les autorités.
En complément, nous mentionnons également les données sur la dangerosité du loup au travers du rapport de l’Office Fédéral de la Biodiversité (OFB), publié en 2021 et fruit d’une étude de terrain, entre 1993 et 2020 en France. Les divers témoignages d’observations et rencontres avec le loup ont été récoltés sur une base de données. Ils prenaient en compte des facteurs tels que les observateurs (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle), le contexte de l’observation, les réactions adoptées (cris, gestes brusques, approche, passivité, fuite) et, bien évidemment, le comportement du canidé sauvage. 3881 interactions ont donc été passées sous la loupe et les résultats sont assez parlants : seules dix rencontres ont mené à des réactions du loup, considérées comme « agressives » (grognement). Il faut savoir que sur dix cas sur dix (100%), l’observateur avait eu des réactions dites intrusives et non appropriées. Mais la conclusion est claire : aucune interaction n’a mené à un quelconque type d’agression, le loup a toujours opté pour la fuite !
Grâce au rapport de John Linnell, aux faits retracés et surtout aux preuves scientifiques, qui permettent d’assurer l’identité de l’animal ayant provoqué une attaque à 100%, nous pouvons aujourd'hui nous faire une idée bien plus précise de la vraie dangerosité du loup, dans notre pays. En 2023, grâce à de nombreuses décennie d’études sur le terrain, l’avènement du matériel de vision thermique et de la génétique, nous avons obtenu de vraies, solides et indéniables connaissances sur le loup, ses mœurs et son fonctionnement. Mais nous avons aussi pu constater, via tous ces documents, que nous ne pourrons jamais avoir une vision approfondie et certifiée de ce qu’il s’est passé dans les siècles précédents. Dès lors, les rapports, les chiffres et les faits actuels, basés sur notre propre mode sociétal et la situation de notre pays, doivent, logiquement et sans discussion possible, être le point de référence en ce qui concerne les dangers que pourraient représenter le loup pour l’homme au 21ème siècle.
Le risque zéro n’existant pas avec le vivant et la nature, il est donc nécessaire que la population suisse soit informée voire formée aux bons comportements à adopter envers les canidés, à tous les niveaux. Ainsi, les rencontres avec le loup se passeront mieux et cela permettra d’éviter les mauvaises réactions et donc les incidents.
Dictionnaire
Mode sociétal Qui se rapport aux divers aspects de la vie sociale des individus, en ce qu’ils constituent une société organisée.
Rage Virus mortel qui se transmet à l'homme par la salive de l'animal infecté. Elle touche le système nerveux.
Anthropogénique Causé ou généré par l'homme.
Photos : Depositphoto, illustration, Sébastien Farcis (@lecercle) & Mission Loup
Références : Rapport NINA John Linnell & Fauna Valais
CHAPITRE SUIVANT : LE CHIEN, VRAI INNOCENT OU COUPABLE OUBLIÉ ?