Les attaques entre deux chiens, provoquant des blessures physiques, psychologiques (traumatismes) voire, dans quelques cas chaque année, la mort, sont plus fréquentes que nous le pensons. La nature et le vivant ne sont pas tendres, les animaux se battent et, parfois, s’entretuent pour nombre de raisons, à l’intérieur même d’une espèce ou lors d’interactions interspécifiques. La protection de ressources, du territoire, de la descendance, les conflits sexuels, l'agression redirigée, d'irritation ou de distancement, les morsures instrumentalisées, l'effet de meute, la prédation, les éventuels troubles comportementaux (hyperactivité, hyperréactivité), les traumatismes, les états émotionnels/physiologiques modifiés (maladie, accident, prise de médicament, vieillesse, etc.) ou encore la peur/anxiété, voici plusieurs causes qui peuvent provoquer des conflits.
Il est vital de comprendre qu’une rencontre entre deux chiens lors de balades, en pension ou lors de l'intégration d'un nouvel individu au sein du foyer, n’est jamais prévisible, soit il est impossible d’en connaître l’issue avec certitude. Maintenant que nous avons compris la nécessité d’ôter, à tout prix, cette interprétation de chien « gentil/méchant », une évidence apparaît : ce qui va découler d’un face à face entre deux chiens dépendra de très nombreux facteurs, comme tout ce qui touche au vivant ! A ce moment-là, ce sont deux personnalités uniques, ayant leur propre génétique, épigénétique et personnalité/caractère, qui interagissent. A cela s’ajoute la situation, les circonstances, l’environnement, l’état émotionnel/physiologique du moment pour les deux protagonistes, la gestion du propriétaire (peur, tension dans la laisse, non respect des demandes faites par l'un d'eux, etc.), les antécédents ou traumatismes vécus, etc. Vous l’avez compris, noir sur blanc : l’entente entre deux chiens n’est pas plus garantie que celle entre deux humains. Antipathie, affinité, accroche, conflits, tout peut survenir de manière extrêmement rapide ! D'une entente correcte, on peut passer à une agression, en une fraction de seconde.
Majoritairement, les conflits ne durent pas (si les chiens communiquent bien et connaissent les signaux d'apaisement) mais ils peuvent être impressionnants, pour des néophytes ou des personnes ne connaissant pas la communication canine. D'ailleurs, il n'est pas rare, lorsque l'on observe les propriétaires au moment d'un conflit, entre aboiements et charge, de les voir se figer, ce qui signifie que le chien réussit à provoquer les comportements souhaités même sur l'humain.
En balade, les conflits sont souvent dus à la peur, présente à la suite d'une possible agression subie par l'un des chiens dans le passé et qui a laissé des stigmates. Ou, parfois, cela peut également provenir d'une mauvaise socialisation, de chiens n'ayant pas les codes pour interagir correctement avec leurs congénères. Dans le cas d'un chien angoissé et traumatisé, l'attaque immédiate peut survenir, dans le but de se défendre, surtout si ce procédé avait fonctionné lors de l'agression initialement subie. C'est que nous appelons les réflexes de défense du chien, provenant du cortex reptilien et qui s'activent lorsque l'animal est en panique, a peur et que sa survie est engagée. Dans ce genre de situations, le chien déclenchera l'un ou l'autre des réflexes de défense suivants (les quatre "F") :
1. Faire semblant
Le chien fait autre chose, le mort par exemple. Difficile à détecter car il peut aussi se lécher, se gratter, renifler par terre, etc.
2. Figer
Le chien s'immobilise, se recroqueville et utilisera alors, très certainement, les fameux signaux d'apaisement, autant envers son congénère que son propriétaire (pour qu'il le libère de cette situation).
3. Fuir
Le chien peureux tentera de fuir, de partir le plus loin possible. Il exprimera ce comportement quand le fait de figer n'aura pas fonctionné.
4. Faire face
Il grogne, mord, attaque. Comportement d'un chien souvent en laisse, ne pouvant ni figer ni fuir ou lorsqu'acculé dans un coin. Il attaque pour se défendre.
En pension ou au sein du foyer, les conflits/agressions entre chiens sont souvent activés par la protection de ressources (nourriture), du territoire ou encore l'agression de défense de groupe, qui elle est très dangereuse et peut rapidement conduire à la mort (agression d'un groupe de chiens sur un individu, communément appelé "effet de meute"). On constate aussi les attaques dues aux agressions de distancement ou celles dites "compétitives/sociales" (objet, lieu de repos, interactions sociales ou contrôle sexuel).
Les conflits entre chiens sont donc fréquents dans la vie quotidienne et varient en intensité/gravité selon les cas, qui dépendent eux-mêmes des facteurs précédemment cités. Même si le chien est principalement "non-conflit" et que sa communication est truffée de signaux d'apaisement (mimiques, postures, vocalises), il est également conditionné par sa génétique, ses instincts/comportements et son environnement, entre autres. Et dans ce dernier, nous oublions souvent de parler de l'influence du "facteur humain" et tout ce qui s'y rapporte. Car oui, il est indéniable que la domestication ou encore le maintien en milieux anthropisés (parcs/zoos) modifient les comportements et augmentent la survenue de conflits, intra et interspécifiques. Les exemples sont les animaux ne pouvant se soustraire à leurs congénères, à leur propriétaire, forcés d'affronter des situations qui provoquent peur et/ou inconfort, se retrouvent en forte densité dans des milieux pas toujours adaptés ou qui ont subi des traumatismes divers (erreurs éducationnelles, accidents, agressions de congénères, environnement non conforme, enfermement, solitude, maltraitance, etc.).
Il n'est quasiment jamais fait mention des dérives dont l'homme est responsable avec le chien, étant donné sa méconnaissance d'une part ou, d'autre part, sa pensée souvent trop autocentrée/suprémaciste (l'animal est inférieur, moins intelligent et doit "servir" à quelque chose...) ou, à l'inverse, trop anthropomorphique (infantilisation). Il n'est pas non plus mis en avant les conséquences qui en découlent, que ce soient les troubles comportementaux à divers degrés tels la réactivité, l'hyperréactivité, les TOC ou encore l'angoisse, la dépression, l'automutilation. Tout cela est un terrain propice aux agressions et aux conflits, il en va sans dire.
Si votre chien attaque ou est attaqué par un congénère, il sera de mise d’étudier, calmement, les circonstances exactes mais aussi en prenant en compte ce qui s'est passé bien avant (modification de l'état émotionnel/physiologique, autre expérience négative ayant précédé, etc.) pour tenter de comprendre les raisons du conflit et les moyens d'améliorer la situation si cela se reproduit. Ou de demander conseil à un éducateur ou à votre vétérinaire. L'attitude du propriétaire revête également un rôle important car l'angoisse et la peur sont perçues par le chien, notamment dans la façon de tenir la laisse, entre autres. C'est aussi pour cela que les cours d'éducation canine sont nécessaires : le propriétaire apprend à connaître le canidé, son propre chien, à gérer les situations difficiles, les conflits et sait alors adopter un comportement adéquat et intervenir sans prendre de risques pour son intégrité physique.
Tout propriétaire qui n'a jamais suivi de cours et méconnaît le comportement canin risque fort de créer/provoquer des conflits (directement ou indirectement) ou de les aggraver au travers de comportements inadéquats, ce qui peut également se retourner contre lui (blessures/morsures). Nous voyons souvent ce cas, notamment avec les petites races de chien qui sont victimes d'infantilisation (portées dans des sacs, habillées, prises dans les bras lors de contact avec leurs congénères, etc.). Il serait bon de comprendre qu'un chien est un chien et doit être traité comme tel, soit en respectant SES besoins de canidés (et non les nôtres, le chien n'étant ni une peluche ni un bébé !), au travers d'une communication propre à son espèce. Toute extrême, peu importe le sujet, est néfaste et amène plus de problèmes que de solutions !
Dans le cadre de conflits, il est aussi juste de rappeler à quel point les humeurs et l'état émotionnel/physiologique jouent un rôle chez le chien, comme c'est le cas chez l'humain aussi. Une rencontre entre deux chiens ayant eu un conflit précédemment peut, à un autre moment et dans d'autres circonstances, avoir une tout autre issue. Nous avons ce cas parfois en pension : des chiens qui se connaissent, ont déjà été dans le même box ou parc d'ébat de nombreuses fois et qui, à un moment donné, pour des diverses raisons à voir avec tous les facteurs cités précédemment, se battent. Et tout rentre dans l'ordre par la suite. Rien n’est jamais linéaire avec le vivant, cet exemple en est une preuve supplémentaire, si certains en doutaient encore.
Oui les conflits entre chiens surviennent, tout comme chez l'humain, et c'est normal. Oui il arrive que deux congénères se battent, ce qui peut entraîner des blessures physiques (à divers degrés de gravité), des éventuels traumatismes voire la mort. Cependant, il ne faut pas systématiquement stigmatiser ou dramatiser les anicroches entre canidés, tous ne peuvent pas s’entendre, en tout temps, au même titre que les humains. Ce qui peut paraître impressionnant pour des néophytes canins (grognements, mâchoires retroussées, canines visibles) est un signe de communication visuelle et acoustique chez le canidé. La discussion peut s'arrêter là, sans agression, si le congénère comprend le message, ce qui est souvent le cas. Tout propriétaire devrait donc connaître tout ce qui touche aux comportements agonistiques et aux situations pouvant mener à un conflit ainsi qu'apprendre à repérer les signes précurseurs.
C'est pourquoi, dans ce dossier, nous insistons lourdement sur la nécessité de suivre des cours d'éducation canine (théoriques si possible mais en tout cas pratiques) et de lire des ouvrages sur le chien lorsque nous décidons d'en acquérir. Mais aussi par la suite, au fil des années, car les choses évoluent très rapidement avec le monde du vivant, à tous les niveaux. Quitte à se répéter, vous devez comprendre que le manque de connaissances de l'humain sur l'éducation et le comportement canin augmente les risques de commettre des erreurs aux conséquences potentiellement lourdes, que vous soyez un simple usager ou le propriétaire. En ce qui concerne ce dernier, l'absence ou, pire encore, une mauvaise socialisation du chiot durant les premiers mois (très important dans son développement), peut lui gâcher la vie, avoir un sérieux impact sur son état mental/émotionnel et physiologique. Ceci augmentera, fort logiquement, les risques de conflits ou d'incidents ! Il suffit de se retrouver dans un lieu où se trouve une dizaine/vingtaine de chiens différents pour observer des troubles comportementaux, à divers degrés, et qui montrent que le chien n'est pas 100% bien dans ses pattes. Et cela a donc une influence sur sa vie en société, avec ses congénères et l'humain.
Il est impératif que chaque propriétaire connaisse donc le canidé en sens général mais aussi et surtout son propre compagnon, qu'il sache interpréter les signes montrant les changements d'état, les paramètres pouvant provoquer des conflits et qu'il respecte, en tout temps, les autres usagers et leurs souhaits. Un exemple peut être cité pour décrire une situation rencontrée par les propriétaires de chiens, de manière extrêmement fréquente : vous promenez votre chien en laisse car vous le savez réactif à ses congénères (pour diverses raisons qu’il convient de ne pas juger) ou tout simplement car il n'est pas dans un état normal ce jour là (maladie, blessure, douleur, prise de médicaments, etc.). Vous croisez alors une personne avec un chien détaché, à laquelle vous demandez gentiment de rappeler son chien et de le tenir ou de l'attacher, le temps du croisement. Nombre de propriétaires vous répondront alors « non pas besoin, mon chien est gentil » ! Maintenant que vous avez des notions plus approfondies sur les instincts, les comportements et le fonctionnement canins, vous comprendrez mieux la nécessité de respecter toute demande et même d’anticiper, que ce soit pour éviter un conflit ou pour le bien-être de tout type d'usagers qui croiseront votre chemin. Gardez bien cela à l'esprit : vous connaissez peut-être votre chien mais pas celui se présentant en face !
Au niveau des statistiques officielles vétérinaires, les chiffres des cantons romands, pour l’année 2022, montrent environ 300 à 350 attaques de chiens sur des congénères. Et ce ne sont que les cas qui ont été annoncé car ayant probablement causés des dommages physiques. Des thérapies de désensibilisation sont aussi mises en place sur des chiens traumatisés par des agressions, ce dont on ne parle jamais. Chaque année, quelques chiens perdent la vie lors d'attaques intraspécifiques, ce qui montre bien le degré de risques bien plus élevé d'agressions et de blessures existants entre deux chiens domestiques plutôt qu'entre chiens et loups.
Nous ne pouvons clore ce chapitre sans mentionner le chien de protection, qui est au centre des préoccupations de nombre de propriétaires lors de la saison estivale. Nous allons être clairs et concis : un chien domestique n'a rien à faire dans des pâturages protégés par des chiens de protection, attaché ou non ! Maintenant que vous avez, nous l'espérons, acquis de meilleures bases au niveau des comportements canins, vous devriez comprendre instinctivement qu'aller déranger un chien qui travaille, en assurant la protection de son troupeau contre...un canidé notamment, est une erreur monumentale.
Les panneaux au départ des randonnées et les consignes données chaque année sont clairs. Le non-respect de ces derniers va mettre tout propriétaire dans une situation extrêmement compliquée à gérer, d'autant plus si les connaissances canines sont faibles. Les interactions seront alors agonistiques, par le simple fait que le chien domestique sera perçu comme le loup, soit comme une menace pour la sécurité du troupeau. Les erreurs que feront alors les propriétaires, comme fuir, prendre leur chien dans les bras ou forcer le passage conduiront, à n'en pas douter, à des morsures ou agressions, potentiellement fatales pour de petites races de chien. Mais ne vous y trompez pas : l'erreur est alors 100% humaine ! Le plus regrettable, c'est que l'éleveur risque d'être embêté uniquement parce que des personnes n'ont pas tenu compte des consignes et panneaux. Il existe nombre de belles balades et randonnées à faire avec votre compagnon en-dehors des zones d'estives. Vous trouverez, sur les deux liens suivants, les lieux où se trouvent des chiens de protection :
Carte interactive AGRIDEA
ARCADIA - Liste des élevages
"Nous ne fournissons pas, dans ce sujet, de solutions éducatives ni ne faisons de diagnostic sur les conflits intraspécifiques, en aucun cas. Le chien étant un être unique, possédant sa propre génétique, épigénétique et environnement, il est impératif de consulter un éducateur professionnel/spécialisé et/ou un vétérinaire comportementaliste en cas de difficultés rencontrées avec votre compagnon. Vous éviterez ainsi les conflits ou incidents avec ses congénères ou l'humain mais, surtout, et c'est le plus important, vous pourrez permettre à votre compagnon d'être traité, en corrigeant les éventuelles erreurs éducatives, et de le rendre ainsi bien plus heureux".
Dictionnaire
Déviance Caractère de ce qui s'écarte de la norme.
Interspécifique Qui concerne deux espèces différentes et leurs relations.
Intraspécifique Tout ce qui se passe à l’intérieur d’une même espèce biologique.
Épigénétique Tout ce qui provient de l’éducation des parents, des apprentissages et des expériences vécues durant toute la vie d’un individu,
qu’ils soient positifs ou négatifs.
Agonistique Entraînant des conflits, des agressions, des morsures (interactions non amicales)
Photos : illustration, lemagduchien, japhy, C. Jeannerat
CHAPITRE SUIVANT : ENTRE CHIENS ET LOUPS