Selon les études récentes, il existerait au moins 25 patrons moteurs d’agression chez le chien, influencés par les gènes. Mais qu’est-ce, au juste, qu’une agression ? C’est une menace ou un acte physique contre l’équilibre physique ou psychique d’un individu. Nous entendons par là tout comportement ayant comme résultat d’obliger un autre individu à rester à distance, soit spatialement, soit socialement mais sans forcément qu’il en résulte un dommage physique. L’agression ne veut donc pas forcément dire « danger », c’est surtout une estimation.
Dans ce chapitre, nous nous baserons principalement sur le chien domestique. Comme nous le verrons dans les prochains chapitres, c’est le canidé responsable du plus grand nombre d’agressions et de morsures en Suisse, fort logiquement puisque c’est aussi le plus courant. La documentation et les descriptifs ont donc été majoritairement établis en prenant en compte le chien mais reste tout de même valable pour tout autre canidé.
L'agressivité provient de facteurs génétiques (de l'animal et de ses ascendants) mais aussi épigénétiques telles les répercussions de la grossesse, la socialisation primaire (les trois premiers mois) et secondaire (au-delà de 3 mois), l'éducation donnée par la mère & les autres congénères adultes, l'environnement donné par l'éleveur & le propriétaire, les incidents/accidents de la vie quotidienne, les rencontres sociales positives et négatives, les maladies, etc. Elle a donc de multiples origines qui peuvent prédisposer certains chiens à être agressifs, la faire apparaître ou l'aggraver. Il est nécessaire de se rappeler que, selon les circonstances et nombre d'autres facteurs précédemment cités dans ce dossier, tout animal peut représenter un danger, agresser de manière défensive ou offensive. Si l'on désire une garantie à 100% qu'un chien ne mordra jamais, il faut alors prendre une décision irrévocable, celle de choisir un chien en...peluche. Il est donc vital de s'ôter définitivement de la tête que notre chien ne mordra jamais, rien n'est plus faux et dangereux.
En ce qui concerne le canidé, sachez qu'il n’a pas d’autre choix que d’utiliser ses patrons moteurs, génétiquement programmés pour les chiens et les proies, envers les humains. Il ne peut pas inventer ou apprendre un nouveau langage, indépendamment de ses patrons moteurs intrinsèques, pour communiquer avec l’humain (J. Dehasse).
Dans le cadre des agressions sur l’homme, il en existe deux types :
- défensive/réactive --> le canidé réagit quand c’est la personne qui va vers lui.
- offensive/proactive --> le canidé va vers la personne pour l’attaquer. Pour les prédateurs sauvages, elle sera nommée « attaque de prédation ou prédatrice ».
Selon l’évaluation des attaques de chiens ou de loups (OSAV/Rapport NINA), la majorité sont défensives. Cela montre bien la position de « non-conflit » du canidé, ne considérant pas l’homme comme une proie à la base. Mais comme mentionné précédemment, ce dernier reste un prédateur et l’agression offensive ou l'attaque prédatrice est également possible, dans des circonstances spécifiques et selon certains facteurs exposés dans ce dossier.
En termes d’agression, nous pouvons aussi mentionner qu’il y a trois catégories pour les évaluer :
- Agression prévisible --> le canidé émet une phase de menaces identifiables (mimiques, postures, vocalises) et compréhensibles.
- Agression peu prévisible --> la phase de menace est difficilement identifiable ou presque simultanée avec l’attaque.
- Agression imprévisible --> l’attaque est immédiate, sans aucun avertissement préalable.
Tout canidé, dans une situation d’inconfort, de peur ou de surprise (rencontres imprévues avec l’humain pour le loup), se retrouve alors en position défensive. Si la distance est courte, il devrait alors montrer des signes clairs et identifiables :
- Oreilles en arrière
- Mydriase (dilatation des pupilles)
- Plissement du front et du museau (se retroussant et découvrant les babines)
- Hérissement des poils de la nuque et de l’échine dorsale
- Queue entre les pattes postérieures
- Mâchoire en petit C (ou grand C en cas d’agression offensive) soit montrant les dents
- Grognements
Ces signes permettent d’indiquer à la personne/congénère que l’individu est dans une situation très inconfortable, qui le met mal à l’aise ou lui fait peur et que l’action en cours doit être stoppée immédiatement. Marche, approche, caresse, tentative de prendre la gamelle, l’humain doit s’arrêter net et laisser l’animal tranquille. Il est nécessaire de remettre de la distance avec le canidé, soit de reculer, ce qui va faire baisser son état de stress !
Le grognement, souvent vu comme un signe de déviance comportementale ou d'agressivité caractérisée par ceux ne maîtrisant pas le domaine canin, n'est rien d'autre qu'un avertissement donné par le canidé pour signifier le même état de mal être précédemment cité. Il survient souvent lorsque les précédents signaux n'ont pas été compris. Cela fait partie de sa communication dite acoustique (aboiement, grondement, grognement, etc.). Chez le loup, ce dernier survient lorsqu'il y a effet de surprise et que la distance qui le sépare de ce qu'il considère être comme un danger pour son intégrité physique est faible. Il faut tout de même savoir que le grognement ne mène pas forcément à la morsure ! Pour l'éviter, il suffit de stopper immédiatement l'action en cours et de remette de la distance avec le canidé, en reculant doucement. C’est un avertissement sonore qui doit être éminemment respecté mais pas mal interprété.
Chez le canidé, dans le cas d’attaques défensives, des signaux sont, bien souvent, donnés avant la morsure. Mais lorsque les instincts du canidé sont stimulés, par exemple le passage d’un joggeur, trailer ou cycliste, l’agression sera immédiate et sans signes d’avertissement. C’est malheureusement « le jeu de la proie » puisqu’une personne ou une chose en mouvement rapide, qui court ou fuit, réveille l’instinct de prédation du canidé, qui se jette alors à sa poursuite. Nous tenons à rappeler qu'un instinct est non modifiable et propre à l'espèce donc, en présence de chiens ou de loups, il est nécessaire de s'arrêter, de marcher (à côté du vélo pour les cyclistes) et ne pas repartir tant que l'animal n'est pas hors du champ de vision. Par sécurité, il est même conseillé de marcher ou pousser le cycle pendant quelques minutes.
Mais, dans des circonstances spécifiques comme les attaques imprévisibles par exemple, il arrive que le chien ne donne que peu ou pas de signaux d’avertissement. Cela peut varier d’un individu à l’autre, en fonction de nombreux facteurs tels la génétique, les modifications comportementales et physiques abordées précédemment ou encore les troubles pathologiques (hyperréactivité, hypervigilance, troubles de la thyroïde, TOC, démence sénile), entre autres. Il est juste de mentionner aussi que les réactions dépendront, là encore, de plusieurs facteurs telle la génétique, l'épigénétique, les circonstances, la situation, l’état émotionnel/physiologique actuel, mais aussi de la personnalité & du caractère de l’individu, qui, rappelons-le, lui sont propres, comme chez tout être vivant. Nous ne devons jamais oublier cela !
Chez le chien, il existe quatre phases/séquences de l’acte d’agression :
1) Phase d’intimidation (menace)
2) Phase d’attaque (action/morsure)
3) Phase de fin (apaisement)
4) Phase réfractaire (cesse et ne revient plus à la charge sauf si la menace continue)
Il y a un fait méconnu avec le chien, pourtant vital à intégrer : dès qu’un individu est confronté à un élément perturbateur (forte excitation ou frustration), cela va engendrer une émotion très difficile à gérer pour lui. La seule façon d’ensuite s’apaiser, redescendre à un état normal, c’est de mordre ! Il se retournera donc sur ce qui est à proximité immédiate, un jouet, un congénère ou l’humain. Cela est la cause de la fameuse « agression redirigée ». Il est regrettable que les modes de communication canine, tous les signaux d’apaisement mais aussi ceux indiquant le mal être, la peur ou le stress ne soient pas connus ni maîtrisés par tout propriétaire et, au-delà, par la population dans un sens plus général.
Il existe plusieurs types d’agressions chez le canidé : parentales (de sevrage, disciplinaires et éducatives), compétitives/sociales, de contrôle sexuel, d’irritation (frustration, de douleur), maternelles (protection), de gestion de l'espace (distanciement, défense de groupe, territoriales), redirigées, de poursuite et de meute (infanticide, prédatrices en groupe).
Il est donc très important, au vu de tous ces éléments, d’apprendre la lecture du chien, au travers de ses mimiques, ses postures, ses instincts, ses comportements et de sa communication. La compréhension de notre propre chien permet de repérer les signes et, avec l'aide d'un éducateur professionnel ou d'un vétérinaire comportementaliste, d'en comprendre les causes et d'y remédier, dans la mesure du possible.
Notons encore les différents types de morsures chez le canidé :
- Morsure simple Le chien mord une fois et relâche.
- Morsure simple et tenue Le chien mord une fois mais ne relâche pas.
- Morsures multiples Le chien mord à plusieurs reprises, relâchant chaque fois.
- Morsures multiples/tenues Le chien mord à plusieurs reprises, ne relâche pas, secouant la gueule, ce qui provoque des arrachements musculaires.
Afin de comprendre les conséquences physiques possibles à une morsure, il est nécessaire de savoir que la puissance de la mâchoire du canidé oscille entre 100 et 150kg/cm2. Elle peut cependant atteindre 700kg/cm2 pour le Kangal, chien à la mâchoire la plus puissante. Le loup est, quant à lui, à 150 kg/cm2.
Pour clore ce chapitre, nous abordons les signaux d’apaisement, que pratiquent tous les canidés. Ce sont des comportements préventifs appliqués afin de ne pas laisser naître les conflits. Ils s’utilisent à un stade précoce dans le but d’éviter la surenchère lors de situations pouvant dégénérer et nuire gravement à l’intégrité des individus. Ils ont donc pour but de s’apaiser et d’apaiser l’autre, ça a donc un double effet. A savoir qu’ils sont génétiques, le bâillement étant le tout premier acquis à la naissance.
Voici quelques signaux effectués par le canidé, qui vous permettront de mieux le comprendre :
- Détournement du regard
- Bâillement
- Baisser la tête
- Se lécher la truffe
- Se coucher
- Montrer les flancs (position T)
- Stopper tout mouvement (freezing)
- Se gratter
- Lever la patte
- Baisser les oreilles
- Battre de la queue
- Marcher en arc
Pour l’apaisement et la communication, les vocalises sont aussi utilisées :
Hautes Elles expriment une plainte (douleur, peur, besoin d’aide).
Normales (yo-yo) Elles se rapportent à tout ce qui est cool (jeux).
Basses Elles expriment une menace, une agression.
Pour apaiser un canidé, l’homme peut également utiliser des signaux d’apaisement tels que :
- regarder/détourner le regard en alternance
- marcher en arc (faire un arrondi pour approcher un chien soit ne pas arriver en ligne droite sur lui)
- bâiller, ignorer l’individu
- marcher lentement
En ce qui concerne le loup, le chapitre "les attaques de loup sur l'homme" vous fournira toutes les réponses sur ce sujet, de manière détaillée.
Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur le comportement canin, l'agressivité et la génétique, il existe un livre très complet et intéressant intitulé "Tout sur le comportement du chien". Il vient de sortir et a été écrit par Joël Dehasse, un comportementaliste vétérinaire de premier plan et une autorité reconnue dans sa profession. L'ouvrage de Michel Georgel "Éthologie du loup, éthologie du chien" est également à lire avec intérêt.
Dictionnaire
Patron moteur Séquence innée de comportements génétiquement programmés (séquences d'un comportement).
Intrinsèque Qui est inhérent à quelqu'un, à quelque chose, qui lui appartient en propre.
Pathologie Trouble, maladie.
Pathologique Qui a trait à une maladie, à un trouble.
Déviance Caractère de ce qui s’écarte de la norme.
Génétique Tout ce qui est relatif aux gènes, à l’hérédité.
Épigénétique Tout ce qui provient de l’éducation des parents, des apprentissages et expériences vécues durant toute la vie d’un individu, qu’ils soient positifs
ou négatifs.
Hyperréactivité Excès de réactivité, de réaction face à un stimulus extérieur.
Hypervigilance État de vigilance anormalement exacerbé par l'anticipation d'un danger imminent réel ou imaginé, et qui s'accompagne d'une anxiété accrue.
Photos : Illustration, FSIFP, D. Mech, J. Dehasse
CHAPITRE SUIVANT : LES ATTAQUES DU LOUP SUR L'HOMME (2002-2020)