Mission Loup

Photo loup jp 2017

L'ABC DE LA RÉGULATION - Efficacité de la protection

Le 18/01/2024

Depuis plus de 28 ans en Suisse, les moyens de protection et leur efficacité sont au centre des débats. Elle fonctionne selon certains, elle est totalement inefficace pour d'autre. Mais comment évaluer l'efficacité des moyens de protection officiels ? Quels sont les facteurs pouvant la modifier ? Nous vous fournissons des explications, en deux parties, afin de mieux comprendre ce sujet, éminemment important et bien souvent mal interprété.

Partie 1

En Suisse, les deux moyens de protection officiels sont les clôtures électrifiées aux normes (hauteur, voltage) et le chien de protection. Ce sont eux qui déterminent si le troupeau est en situation protégée ou non, conduisant alors à une autorisation de prélèvement puis au tir. Bien entendu, il en existe d'autres, tel le berger (métier séculaire et indispensable), les fladrys (1) ou encore les foxlight (2). Certains éleveurs ont tenté de mettre la radio, pour simuler une présence humaine, ou encore des déjections d'autres gros prédateurs aux abords des clôtures, les méthodes sont nombreuses et toute idée doit être tentée.

En ce qui concerne les clôtures, à la base elles étaient utilisées pour regrouper les animaux et les empêcher de divaguer ou de s'enfuir. C'était une question de sécurité, afin d'éviter les accidents. Le but de la clôture électrifiée (min. 3000 volts mais, à vrai dire, il faudrait un voltage plus élevé) en tant que moyen de protection est de provoquer une douleur plus ou moins forte mais n'entraînant aucune blessure au prédateur, au travers d'une décharge électrique. Tout être vivant est toujours impacté face à une expérience négative, d'autant plus si elle se révèle douloureuse physiquement. Cette douleur doit donc faire comprendre au loup qu'il ne doit pas s'approcher ni tenter d'outrepasser cette limite. Le problème reste que si elle est utilisée sans chien de protection pouvant repousser/stopper l'attaque, en connaissant la capacité d'adaptation et l'intelligence du loup, son efficacité peut alors varier voire descendre. Dès que le loup a réussi à trouver le moyen d'y pénétrer, souvent avec l'aide de la topographie du terrain montagneux (trous, rochers, cailloux, irrégularité), son célèbre instinct "Surplus Killing" rentre en action. E sans plus rien pour l'arrêter, le résultat est assez horrible, ce sera un carnage. Et il est clair qu'une fois qu'il a trouvé le moyen de la détourner, la clôture ne remplira plus efficacement son rôle et devra, impérativement, être complétée, notamment par la présence de chiens de protection ou un renfort humain (civilistes etc.). La saison suivante, l'éleveur devra alors avoir modifié son mode de fonctionnement en termes de protection, sans quoi les tueries reprendront avec, au final, des conséquences assez semblables. 

Le chien de protection est, quant à lui, un des meilleurs moyens de protection. Sa présence permet de challenger le loup, de le repousser, de mettre sur son chemin un adversaire à sa hauteur et mobile. Le chien va donc aller en direction du loup, le faire fuir, tout en revenant ensuite au troupeau, pour assurer la continuité de la protection. S'il coursait le loup sur des kilomètres, laissant alors le troupeau seul, cela permettrait, dans le cas où plusieurs loups ou une meute seraient présents, d'attaquer en son absence. En effet, les loups optent souvent, lorsqu'ils sont en effectifs importants ou en meute et les moutons libres, pour la méthode du loup "éclaireur" : un individu ou deux s'approchent, captent l'attention du chien, le tirent dehors du troupeau, permettant ainsi aux autres d'individus d'attaquer sous un autre angle. Dans le cadre de la protection avec des chiens de protection, les effectifs de ces derniers jouent une grande importance dans l'efficacité de la protection, c'est indéniable. Dans les Abruzzes et d'autres régions où le loup est présent depuis toujours et que la protection est alors une affaire de tradition culturelle et générationnelle, les chiens de protection sont utilisés en meute, pour contrer celles des loups. Ceci est, somme toute, assez logique, les meutes de loups se jaugeant aussi aux effectifs, ne rentrant pas ou moins en conflit avec celles ayant un nombre égal ou supérieur de membres.

Pour qu'un moyen de protection soit efficace, nombre de paramètres doivent avoir été étudiés et pris en compte en amont. Nous parlons là de l'espèce à protéger, du type d'élevage appliqué, de l'environnement, de la topographie, de la présence ou non d'humains pouvant intervenir (berger, civilistes) ou de touristes, des volontés et des possibilités de l'éleveur, des lois en vigueur (agricoles, forestières, sur le bien-être des animaux, du tourisme, de la chasse etc.), des effectifs de loups, etc. Vous comprenez maintenant qu'il est impossible d'appliquer partout les mêmes mesures, de manière 100% uniforme, sans rien évaluer, remettre en question ou modifier. Et lorsque des moyens de protection sont mis en place, ils doivent être constamment réévalués, en fonction d'autres facteurs évolutifs, tels les modifications à l'intérieur de la meute (changement de membre reproducteur, reproduction, etc.) et son fonctionnement mais aussi la gestion d'une meute de chiens de protection (chaleurs, conflits, introduction de nouveaux membres, maladies, inexpérience, etc.), celle des animaux d'élevage au sein du troupeau (mélange de races, morcellement des groupes), les différentes zones de pâture traversées pendant l'estive (variation de l'environnement, des sols, de la visibilité), l'état de santé du berger (fatigue, pression entre le début et la fin), etc.

Dès lors, on constate qu'il est très difficile de jauger, véritablement et de manière certaine, de l'efficacité d'un ou des moyens de protection en se basant uniquement sur le nombre de pertes subies ! Surtout si, comme beaucoup, on procède à des comparaisons entre les années, les régions ou les pays, sans prendre en compte tous ces facteurs précités et leur évolution. Il est également compliqué d'évaluer, avec certitude, la raison d'une augmentation ou d'une baisse des attaques d'une année à l'autre, tant il peut y avoir de variations, de modifications, de facteurs que nous ne prenons pas toujours compte, que nous ne connaissons pas (braconnage) ou qui ne sont pas mentionnés (augmentation de la protection en cours de saison, d'une année à l'autre
). Il est donc totalement contre-indiqué, voire même simpliste, d'affirmer qu'une augmentation une année est due à un échec des moyens de protection uniquement, la réalité est bien complexe !

Il est vital de comprendre un point essentiel : dans la nature, tout est évolutif, en constant changement. Il est donc impossible de mettre en place une mesure, en rapport avec le vivant, et se dire qu'elle perdurera ou sera efficace sur le long terme ou éternellement, c'est une utopie totale. Toute mesure appliquée, y compris dans la protection, doit donc constamment être réévaluée, au fil des semaines, des mois, des années, c'est obligatoire. Nombre de facteurs vont, indéniablement, changer, demandant alors une remise en question, une adaptation, une évolution, des modifications, ainsi fonctionnent la nature et la vie. 

Si nous parlons de l'acteur principal de cette trame, le prédateur, on doit aussi comprendre que chaque individu est un être unique, ayant son propre caractère, personnalité, éducation, vécu (expériences & apprentissages). Ce qui marche avec un ne fonctionnera possiblement pas avec un autre. Même raisonnement pour une meute qui, à l'instar de familles humaines, a sa propre organisation, fonctionnement, communication et subira nombre de changements en son sein (individus, membres reproducteurs) au fil des mois et des années. Une meute qui met une pression forte une saison peut, l'été suivant, se comporter fort différemment. Cela dépend de facteurs variés comme, par exemple, des changements dans ses effectifs (membre reproducteur, pas de portée etc.), la pression humaine, la régulation mise en place, le braconnage etc. Il est donc absolument impérieux de connaître le loup et la/les meute(s) présente(s) sur les territoires, de les suivre de manière approfondie mais surtout d'interpréter toutes les données récoltées sur le terrain, et non pas seulement les compiler, comme cela est le cas dans certains endroits actuellement. C'est un point d'ancrage, qui fait que même si certains s'y opposent, on devra toujours communiquer, échanger les connaissances entre spécialistes du loup, l'étudiant depuis des décennies, et le monde pastoral, leurs connaissances, leurs pratiques, leur vécu, etc. 

A suivre prochainement : l'efficacité de la protection - partie 2


Dictionnaire

Fladry : rubans de couleur que l'on met sur tout le long de la clôture, espacés et qui flottent. Ils sont mis en place pour que leurs mouvements, en flottant, fassent peur au loup. 
Foxlight : lampes suspendues aux clôtures, clignotant de manière irrégulière afin de tromper le loup sur une éventuelle présence humaine. 


Références 

Kira Cassidy - "Wolves at each other door"
OFEV - "Aide à l'exécution de la protection des troupeaux"


Article : TT - Mission Loup
Photo : Mission Loup

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