Voici donc quelques facteurs expliquant cette difficulté :
1. Les louveteaux sont maintenus dans un endroit bien caché durant les premiers mois de leur vie.
2. Les subadultes peuvent se déplacer sous forme "d'excursions" avant leur départ définitif et ne sont donc pas toujours avec la meute.
3. Les déplacements ne sont pas exécutés de manière prévisible ni forcément établie.
Pour cette raison, et avant l’invention de la vision thermique qui a permis de faire progresser la connaissance, la majorité des études comportementales du loup se faisaient en milieu anthropisé (1), soit en parc animalier et zoo. Les loups présents dans ces endroits sont nés et ont toujours vécu en captivité, ce qui, logiquement, peut modifier certains comportements et édulcorer certains instincts. En effet, ces loups vivent dans un enclos représentant à peine 1/100ème de leur territoire naturel, sont nourris, ne chassent pas (ou parfois des oiseaux ou rongeurs se glissant dans le parc) et vivent toute leur vie avec les mêmes individus, dont ils ne peuvent s'éloigner en cas de conflits.
Dans les lieux anthropisés, il est donc constaté plus de conflits (potentiellement graves et nécessitant une intervention humaine, une éventuelle séparation) et de mortalité. Ceci s’explique facilement par l’impossibilité qu’a un loup à se soustraire à ses congénères, à aucun moment. Cela donne lieu à des pressions, à du harcèlement voire à des attaques potentiellement mortelles. Dans la nature, non seulement les subadultes peuvent faire des excursions, quitter la meute quelques heures/jours mais aussi la quitter définitivement dès le moment où des conflits surviennent de manière plus répétée (maturité sexuelle, manque de ressources alimentaires, reproduction etc.). Ils peuvent aussi être priés de partir, la possibilité de limiter les conflits est donc bien présente. Nous pouvons aussi mentionner le fait qu’une meute naturelle ne sera pas composée des mêmes membres toute sa vie puisque les jeunes vont très probablement partir et que d'éventuels changements peuvent se produire dans le couple de géniteurs (remplacement, décès). Une meute est unique, chacune a son propre fonctionnement, ses codes de communication, son organisation, gère comme elle l’entend. Elle peut changer cela à chaque naissance, la composition va donc varier, comme le nombre d’individus, les sexes, les personnalités/caractères, tout au long de la vie de celle-ci.
Dans un zoo, les parents resteront donc avec leur descendance toute la vie, sans qu’aucun d’eux ne puisse partir. Dès le moment où les hormones rentrent en jeu, qu’un individu est plus faible ou introverti, des conflits peuvent alors survenir. Le mâle reproducteur est d’ailleurs parfois castré (plus rarement la femelle stérilisée, intervention chirurgicale plus compliquée et potentiellement plus problématique qu’une castration) ou prennent une forme de contraception. Les zoos affichent souvent complets et le loup ne fait pas partie des animaux pouvant être facilement replacé. En effet, il est impossible d'introduire un loup avec d'autres individus étrangers, au sein d'une meute déjà existante. Il faut donc une place où l’attend un individu seul (de préférence du sexe opposé), dans l’optique d'éventuellement former un couple. Et encore, les chances de succès ne sont de loin pas certaines. Apollo, avant d’avoir Daphné, a eu 3 femelles avec qui, malheureusement, ça n’a pas toujours bien fonctionné. Il avait une tendance à être ce que l’on pourrait appeler « un brin autoritaire », empêchant la femelle d’accéder à la nourriture, la terrifiant au point que l’une d’elles a essayé de grimper la clôture du parc ! Tout comme pour l'humain, il se pourrait donc que les couples se forment aussi au feeling, en prenant en compte la personnalité et du caractère (type A/type B) de l’autre pour trouver une forme d’équilibre. Dès lors, replacer un loup qui n’est plus le bienvenu dans sa meute devient très compliqué. Sans vouloir cacher la réalité du terrain, certains sont supprimés, les zoos n’ayant pas d’autres possibilités. Le loup, en tant que prédateur, avec les instincts qui le caractérisent, est donc un animal compliqué à gérer en milieu anthropisé, notamment au niveau des effectifs et des conflits qui en découlent logiquement. Il est donc plus simple de gérer des cerfs ou toute espèce proie. Cependant, en période de reproduction, la présence de plusieurs mâles peut entraîner des conflits parmi elles aussi.
Au niveau de l’étude comportementale en milieu anthropisé, il convient donc de ne jamais tirer de conclusions définitives ou trop tranchées. Les comportements doivent être replacés dans leur contexte et non pas transposés systématiquement, en toute circonstance, à ceux de loups sauvages. Dès le moment où ce fait est compris, ce qui est le cas maintenant depuis plus d’une décennie, nous pouvons observer, filmer, interpréter, comprendre mais sans forcément apposer au sauvage des comportements vus en milieux anthropisés.
Nous devrons donc nous méfier des observations concernant les conflits et tenir compte du fait que, sans possibilité de se soustraire aux congénères, les conséquences de telles situations pourront potentiellement être plus problématiques, plus graves que dans la nature. Il n’est pas rare de voir, en milieu anthropisé ou fermé, ce que l’on appelle des « souffre-douleur », y compris parmi les poissons dans un aquarium. L’individu le plus timide, en retrait, faible ou le dernier arrivé peut être pris pour cible, privé de nourriture, malmené physiquement et cela possiblement jusqu’à la mort. La captivité mène également à des changements dans la dynamique sexuelle lorsque plusieurs mâles matures se trouvent dans la meute. Contrairement à la nature, où seul le mâle reproducteur s'accouple, dans les milieux anthropisés, selon Rabb et ses collègues, les autres mâles auraient plus d'activité sexuelle que ce dernier, qui laisserait faire. Ils ont même pu constater qu'une fois le mâle géniteur décédé, son remplaçant a également vu son activité sexuelle descendre grandement alors que, jusqu'ici, elle était plus intense.
En milieu anthropisé, cette proximité imposée et constante, à la base des conflits, est donc également responsable de changements significatifs au niveau des rôles et comportements. Et cela notamment dans le domaine de la fameuse domination/soumission. Ce point a d’ailleurs été à l’origine de mauvaises interprétations dans le milieu canin, transposant les relations extrêmes observées chez les loups anthropisés en règles à appliquer en éducation canine. Nombre de chiens en ont donc subi les conséquences, cela découlant alors sur une forme de maltraitance (chien renversé sur le dos pour lui « montrer » la soumission, qui commande ; une aberration aujourd’hui mais qui est encore appliquée par certains mauvais éducateurs canins). La relation domination/soumission s'est révélée fausse dans le milieu lupin, David Mech est revenu sur cette théorie grâce à plus de 50 ans d'étude sur le terrain. Une meute n’est rien d’autre qu’une famille, dirigée par 2 parents qui éduquent leurs petits, leur passant nombre de caprices au début puis les remettant en place de manière plus forte dès que les petits grandissent, surtout lorsque le gabarit est quasiment identique. Soit à la période qui correspondrait, chez nous, à la pré et adolescence.
Dans la nature, il n’y a pas d’individus constamment soumis, maltraités ou tyranniques, qui traumatisent ou subissent des mois ou années durant ! Pourquoi ? Simplement parce que tout individu ne trouvant plus sa place dans la meute, que ce soit car il est trop « faible » ou, au contraire, car il cherche un peu trop la confrontation (ce qui arrive souvent en période de maturité sexuelle, les hormones influençant naturellement les comportements), va être chassé ou décider de partir par lui-même. Un loup ne restera jamais toute sa vie dans une meute où il vit dans le conflit permanent ! Rappelons, au passage, que le canidé, au fond de lui et au travers de ses comportements (mimiques, postures etc.), transmet continuellement le non-conflit ! Les seuls canidés qui subiront cela toute leur vie sont certains de nos chiens domestiques, condamnés à subir un maître qui fait tout faux, ne les connaît et ne les comprend pas et leur impose une vie allant totalement à l’opposé de leurs besoins. C’est malheureusement un fait que nous pouvons observer, l’humain faisant bien trop souvent de l’anthropomorphisme (2).
Étudier le comportement du loup en milieu anthropisé est donc possible. L’idéal est de trouver un zoo/parc appliquant le moins possible de manipulations/contacts humains avec les loups. Il faudra alors garder à l’esprit les points cruciaux suivants : les animaux sont nourris, vivent en milieu clos et hautement inférieur à leur territoire naturel et ne peuvent aucunement se soustraire ou quitter la meute ! Il est donc fortement conseillé de connaître déjà les milieux canins et lupins de manière approfondie, afin de ne pas faire de transpositions erronées.
Dictionnaire
(1) Milieu anthropisé : qui est modifié par la présence humaine.
(2) Anthropomorphisme : tendance à attribuer aux animaux des réactions humaines.
Article : TM - Mission Loup
Photo : Mission Loup