L'hybridation existe depuis la nuit des temps dans la nature, elle n'est donc pas récente ni même rare. Comme vous le verrez plus loin, elle peut même être bénéfique. Elle réside en un croisement entre deux individus d'espèces différentes, qui s'accouplent et donnent naissance à une portée, que nous nommerons alors une hybridation "de première génération". Ce croisement n'est, en soi, aucunement problématique, que ce soit génétiquement ou comportementalement parlant. A l'état sauvage, les individus croisés "retrempent" (1) ensuite, l'immense majorité du temps, avec leur propre espèce, repartant alors sur une génétique propre à cette dernière. Cela reste donc vraiment anecdotique, pour résumer : c'est la nature.
Chez le loup, on parle d'hybridation dès le moment où un chien mâle s'accouple avec une louve. A vrai dire, loups et chiens étant, en fait, des sous-espèces faisant partie de la même famille (canis lupus), le mot "hybridation" n'est donc pas totalement approprié, nous devrions plutôt parlé de "métissage", d'interfécondité (2). Ces croisements ne se produisent pas en Suisse ou en France mais deviennent de plus en plus importants en Italie, en Roumanie ou dans des pays de l'Est. Pourquoi ? L'explication est simple, autant que le coupable sur la trame de fond : la non gestion (ou extrêmement mauvaise...) des chiens domestiques par l'homme ! En effet, nous trouvons pas moins de 500'000 chiens errants en Italie, près de 60'000 en Roumanie, un véritable fléau dû à la non castration/stérilisation, entraînant une reproduction rapide et intensive, mais aussi à des abandons bien trop fréquents, à voir avec la bêtise humaine. En Suisse, la loi oblige tout propriétaire à munir son chien d'une puce électronique (microship), ce qui le relie inévitablement à son propriétaire et complique l'abandon, le chien étant alors ramené à la case départ, avec de potentielles poursuites judiciaires ! Mais dans les pays précédemment cités, il n'y a aucune obligation, ce qui conduit alors nombreux maîtres à abandonner leur chien dès le moment où ils n'ont plus envie de s'en occuper ! L'animal étant encore bien souvent traité comme une chose, une possession, il est courant de s'en débarasser dès le moment où certains réalisent les contraintes et responsabilités qu'entraînent sa présence et sa gestion. Dans l'intérêt du chien en premier lieu (l'abandon étant considéré comme de la maltraitance), mais aussi du loup, il serait donc urgent que le gouvernement italien et des pays au fort taux de chiens errants, prennent des mesures adéquates, simples, comme l'obligation de microship et de castration chez les individus, notamment sur ceux encore dans la rue.
N'oublions pas, au passage, que les chiens loup tchécoslovaques (CLT) ou de Saarloos proviennent, à la base, d'un croisement entre une louve et un berger allemand. Nous nous sommes donc, nous aussi, servi du loup afin d'en tirer une race spécifique, qui plaît justement car elle ressemble au loup. Elles sont, aujourd'hui, bien présentes dans notre société et cela sans accroc, puisque ces deux races sont rarement à l'origine de morsures, contrairement au Labrador ou au Jack Russel !
Mais quelles sont les réelles conséquences du métissage ? Doit-on craindre pour la génétique du loup ou pour son comportement ? Telles sont les questions que beaucoup se posent... Au vu de l'augmentation des cas dans les pays précités, les scientifiques redoutent que ces croisements finissent pas mettre en danger le loup européen, génétiquement parlant. En Suisse, tous les loups morts et retrouvés, les déjections ou les échantillons de salive pris sur les caracasses, sont systématiquement testés en ce qui concerne l'hybridation, depuis 1998 ! Aucun cas d'hybridation de première génération n'a été détecté et seulement deux loups identifiés comme "hybrides de deuxième/troisième génération" : un loup abattu dans les Grisons et la louve braconnée de Mayoux (VS). Pourquoi parle-t-on de deuxième ou troisième génération ? Simplement car le loup hybride provenant d'un croisement direct retrempe, l'immense majorité du temps, avec ses congénères par la suite ! Il forme une meute et les petits qui en naîtront seront alors considérés comme des loups mais de deuxième génération (descendants directs d'hybrides) ou de troisième génération (descendants de la deuxième génération). Il est utile de savoir qu'en Suisse, seul un loup hybride de première génération est considéré comme tel, celui de deuxième/troisième ne l'est plus. L'abattage de loups hybrides, en Suisse, est une mesure préventive uniquement, pour la santé de l'espèce à long terme et non basée sur un quelconque pseudo danger pour l'homme ! Elle pourrait, si on se veut moins circonspect, être remise en question sur le fond puisqu'elle n'entraînera, dans nos contrées, aucun réel problème, que ce soit génétiquement ou comportementalement parlant. En effet, le loup ne va, sur le territoire helvétique, pouvoir se reproduire qu'avec ses propres congénères (pas de chiens errants, taux extrêmement faible de chiens divaguants). Et cela sera surtout le cas pour les femelles qui, nous le savons, dispersent nettement moins loin la grande majorité du temps et restent donc, bien souvent, proches de leur lieu de naissance. La loi suisse se veut prudente et nous pouvons aussi le comprendre au vu des dérives dans d'autres pays notamment.
Les risques éventuels d'un métissage loup/chien n'est réellement présent que s'il devient beaucoup trop fréquent (ce qui n'est pas à craindre ici dans l'immédiat mais devient plus problématique dans les pays pré-cités). Ils mèneraient à une altération génétique de l'espèce Canis Lupus. En effet, l'humain est à l'origine de moultes croisements/manipulations génétiques chez le chien, ceci pour diverses raisons : plus grande variété de races, de gabarits, de couleurs, de morphologies ou encore pour appuyer certaines caractéristiques comportementales (chasse, protection, guidage, etc.). Aujourd'hui, le chien domestique a vu sa génétique se dégrader, entraînant de nombreux problèmes de santé voire même comportementaux. Les vétérinaires connaissent bien cette problématique, ils en parleraient mieux que nous. Dès lors, des croisements avec des chiens affaiblis génétiquement pourraient avoir des conséquences négatives sur les gènes du loup. Mais, encore une fois, il faudrait que ces métissages aient lieu de manière appuyée, répétée, entre hybrides ou chiens errants. Ca n'est pas d'actualité chez nous mais cela pourrait, si nous voulons jouer l'avocat du diable, avoir lieu si les effectifs de chiens errants continuent de grossir, si ceux des loups chutent gravement (à la suite de chasse/tirs intensifs, d'épidémies, libération de territoires, etc.) ou s'il y a une réduction importante des territoires naturels (sur-exploitation par l'homme). Nous devons donc faire attention à la gestion des chiens, en réglant urgemment le problème du randagisme (3). Il serait cependant judicieux d'être également prudents avec celle du loup, notamment en ce qui concerne une régulation plus importante, non basée sur la connaissance et le fonctionnement de l'espèce. Les tirs touchant les deux membres du couple reproducteur provoquent la dispersion de jeunes, souvent inexpérimentés et cela peut mener à des rencontres avec des chiens errants, dans les pays ne les gérant pas correctement. L'humain serait donc bien le coupable d'une telle situation, entre la prolifération/non gestion des chiens domestiques d'un côté et, de l'autre, une gestion possiblement mal étudiée et appliquée, qui devient alors une chasse sans recul scientifique et arbitraire.
Pour certains, l'hybridation fait craindre, également, des modifications comportementales, soit une perte de la crainte de l'homme. Qu'en est-il vraiment ? Croyance ou réalité ? Si nous nous basons sur les études réalisées, sur les dires de vétérinaires, de scientifiques et la connaissance du monde animal, les risques sont extrêmement faibles. Et ce pour une bonne raison : on ne modifie pas des instincts ni même des comportements profondément ancrés en un claquement de doigts, cela nécessite donc des croisements d'individus hybrides, avec des chiens errants, fréquents et sur plusieurs générations. Et il faudrait également rajouter à cela une proximité immédiate et fréquente avec l'humain (milieu anthropisé). En Suisse, nous ne cochons pas ces cases, notamment puisque la probabilité, pour un loup, de se croiser sur plusieurs générations avec du chien errant/divaguant, est impossible. Le risque est donc nul, il est vital de le dire et de l'assimiler.
Il reste à aborder les côtés positifs de l'hybridation ou du métissage, peu connus. Il a été possible d'analyser des populations lupines dans de nombreux pays et régions du monde et il a été découvert, chez certaines, une résistance génétique à certains virus, bactéries et maladies ! Chez des loups ayant recolonisé des territoires aux alentours de Tchernobyl, il a été observé un phénomène assez incroyable : ces derniers n'ont plus de cancer, leur système immunitaire a réussi à le contrer ! Cette découverte et ce fait pourraient permettre aux populations de canidés d'avoir une meilleure résistance contre des maladies auxquelles on ne trouve, actuellement dans le corps vétérinaire, pas de solution.
Vous l'avez compris, l'hybridation et ses conséquences sont bien plus complexes qu'il n'y paraît, souvent galvaudées. La réalité est qu'elle est 100% naturelle et que si elle existe, c'est donc qu'il y a des raisons, des bénéfices pour les espèces. Cependant, l'élément perturbateur de ce fonctionnement naturel, c'est l'humain, qui contrecarre la nature avec, en outre, son extrême mauvaise gestion des animaux qu'il a domestiqué, dans certains pays. L'hybridation naturelle, non expansive, ne pose aucun problème mais les dérives que nous causons pourraient avoir des conséquences plus néfastes. A nous donc d'être vigilants sur ce point, ainsi que sur la gestion du chien et du loup à l'avenir.
Le dernier point reste aussi l'identification des individus hybrides et les nombreuses erreurs d'interprétation, notamment en ce qui concerne des différences de couleur du pelage. L'hybride de première génération peut, parfois, ne pas être identifiable, n'ayant que peu de modifications physiques évidentes. Si le diagnostic d'hybridation/métissage est apporté à la suite d'une analyse sur une déjection ou de la salive sur une carcasse, se pose alors le problème d'identifier l'individu, notamment s'il s'agit du territoire d'une meute et donc prélever le bon, une mission presque impossible dans ce cas de figure ! La couleur du pelage peut varier, vous pouvez d'ailleurs en comprendre les raisons en cliquant ici ! Un loup possédant une couleur différente n'est donc pas forcément un hybride. Cela a été démontré par le cas d'un individu mâle, abattu fin janvier 2022 dans le Bois de Finges (Valais/Suisse), dont la robe était particulièrement foncée, presque noire mais qui, après analyse approfondie, s'est révélé être un loup pure souche.
Nous espérons que ces quelques éclairages sur l'hybridation, le métissage, leur provenance, leurs conséquences positives et négatives ou encore la difficulté à repérer des individus hybrides, vous permettront de mieux maîtriser ce sujet à l'avenir.
Dictionnaire
(1) Retrempe : dans le langage canin, elle consiste à introduire, par un accouplement en croisement, les gènes d'une race dans une autre. Les accouplements successifs permettent ensuite de conserver ces gènes dans la race que l'on veut améliorer. Dans ce cas de figure, l'individu hybride, en s'accouplant ensuite avec sa propre espèce, permet à la génétique loup de revenir à ses bases.
(2) Interfécondité : capacité de deux espèces ou de deux races de se croiser en donnant naissance à des individus eux-mêmes féconds.
(3) Randagisme : provient de l'italien "randagismo", désignant le phénomène des chiens domestiques abandonnés et laissés errants.
Article : TT - Mission Loup
Photo : illustration & SCPF Valais