Nous avons abordé, précédemment, les nombreux et divers facteurs qui peuvent modifier l'efficacité de la protection dans nos contrées. Nous souhaitons, maintenant, approfondir en nous concentrant sur ce que nous appelons "la protection vivante", soit l'utilisation de chiens par exemple. Nous mentionnerons aussi l'utilisation de meutes de chiens, comme cela se fait dans de nombreux pays ou régions ayant toujours coexisté avec des prédateurs naturels. Il est éminemment important de comprendre la différence entre la protection "mécanique", telles les clôtures (qui n'évoluent que peu et dont la pose et l'électrification sont réglementées), et celle qui concerne l'utilisation d'êtres vivants.
Le vivant est, logiquement et par définition, toujours en constante évolution et demande donc des ajustements, des réflexions, des remises en question, des adaptations fréquentes et un travail sur le long terme. La protection dite "vivante" est, couplée aux clôtures/parc de nuit, le meilleur moyen d'empêcher les attaques de masse & les pertes trop répétées sur les troupeaux, ceci dans l'optique d'obtenir une coexistence la moins problématique possible avec le(s) prédateur(s) naturel(s). L'intervention de chiens de protection, à un stade précoce de l'approche du loup ou lors d'une tentative d'attaque, permet de la freiner, de la stopper mais aussi d'empêcher des pertes trop importantes. Toutefois, il est absolument vital de comprendre que la présence de chiens n'empêchera pas toujours une perte. En effet, lorsqu'un mouton est laissé à l'écart, n'est pas rentré en parc ou se trouve proche de l'endroit où le loup lance "l'offensive", cela peut être fatal, au travers d'une attaque "éclair" (et ce même en présence de chiens de protection et d'un berger). Il est vraiment urgent de comprendre qu'aucun moyen de protection ne sera jamais infaillible ! C'est l'utilisation couplée de la protection vivante et mécanique (chiens/berger + clôtures électrifiées, avec fladrys ou foxlight), ainsi que la mise en place d'un bon suivi annuel concernant les mesures utilisées et la connaissance de la meute présente sur le territoire (fonctionnement/effectifs/évolution) qui peuvent permettre une forte limitation des pertes, voire aucune attaque. Cependant, cette stagnation ou absence de pertes ne sera pas immuable mais toujours évolutive, au fil des mois et années.
Le chien de protection est souvent cité comme le meilleur moyen de protéger les troupeaux. Cependant, pour qu'il puisse agir au mieux et être le plus efficace possible, il y a, là encore, des paramètres à prendre en compte. Outre l'environnement, la topographie et la météo, mentionnés précédemment, travailler avec du vivant nécessite une excellente connaissance de l'espèce, de ses instincts/comportements/codes, de son fonctionnement et de ses besoins. Le chien devrait provenir, impérieusement, d'élevages où les ascendants ont toujours été (ou en tout les cas sur de nombreuses générations) dans le milieu de la protection. La génétique a une grande importance puisqu'elle détermine les instincts (dont celui de la protection), contrairement aux comportements qui, eux, ne sont pas génétiques (à l'exception des patrons moteurs fixés et des réflexes). Les chiots doivent naître et grandir en permanence entourés du troupeau, ovins ou bovins, afin de les considérer comme "leur meute" et de les protéger comme tel. L'éducation donnée par la mère et par les autres membres présents, durant les trois premiers mois de vie, est également très importante, puisque les chiens, autant que les loups, apprennent de l'observation et de la reproduction de ce qui est fait par les autres membres adultes (imitation). Les six premiers mois de vie sont capitaux dans la construction des chiots, les erreurs doivent absolument être évitées durant cette période cruciale dans leur développement. L'éducation donnée par l'humain (éleveur) devra donc être basée sur une connaissance approfondie du milieu canin et se dérouler harmonieusement, avec une bonne socialisation, une introduction saine aux différents stimulis et à tout ce que le chien sera susceptible de rencontrer durant sa vie future, sur l'exploitation et les estives (autres animaux, humains etc.). Le programme officiel suisse, qui était admiré dans le monde, avait bien pris en compte ces différents facteurs et conditions capitales. Son abandon, par la Confédération, au profit de programmes cantonaux, qui devront être mis sur pied rapidement (avec des moyens financiers largement inférieurs), pourrait donc être un sérieux pas en arrière et avoir des conséquences possiblement plus négatives.
Un chien, comme le loup et toute espèce vivante, est un être unique, possédant sa propre éducation, personnalité et caractère et qui a vécu (et vivra) ses propres expériences. C'est un élément éminemment important lorsqu'un éleveur constitue une meute de chiens de protection, ce que font quasiment tous les éleveurs dans des pays ou régions ayant toujours coexister avec des prédateurs naturels. C'est une question de traditions, de culture, de mentalités héritées des générations précédentes, une protection qui porte ses fruits : le nombre de pertes sont assez basses, les Abruzzes comptent, dans ces élevages là, moins de 10 pertes par année voire zéro pour certains. L'utilisation de chiens de protection, même s'il n'y en a qu'un ou deux, doit donc être basée, systématiquement, sur une étude approfondie de la situation présente sur les lieux de l'estive : type d'élevage mis en place, animaux à protéger, environnement, topographie et tout ce qui concerne la connaissance de la meute présente. Chez le(s) chien(s), la personnalité, le caractère, la génétique, l'entente entre les chiens, l'âge, le sexe, la période reproductive (chaleurs et problèmes en découlant), l'état de santé physique et émotionnel, doivent impérativement être étudiés et pris en compte.
Plusieurs éleveurs ayant des chiens de protection nous ont apporté leur témoignage. Ils sont encore peu écoutés, que ce soit en France ou en Suisse, mais leur opinion est pourtant vitale si nous voulons comprendre et évoluer dans la protection avec du vivant et obtenir la meilleure efficacité possible. La sélection des chiens, qui constitueront une future meute de protection, nécessite, encore une fois, de solides connaissances et dépend également de tous les facteurs précédemment cités, notamment la meute de loups présente, son fonctionnement et son évolution. L'éleveur apportera donc grand soin à sélectionner des individus spécifiques aux futures conditions dans lesquelles ces derniers devront évoluer. Un travail minutieux et qui a toute son importance dans la fameuse efficacité de protection ! Un choix avisé des personnalités des chiens, de leur âge, de leur sexe, de leur entente, de leur fonctionnement en meute afin d'assurer une complémentarité, de favoriser l'entraide, le soutien et la collaboration. C'est tout un challenge extrêmement intéressant et qui montre bien la difficulté de travailler, dans l'optique d'obtenir les meilleurs résultats possibles, avec des êtres vivants. Ils procèdent également à des tests, changeant parfois les chiens après un certain nombre de jours/semaines sur l'estive, pour leur accorder du repos, ou essaient de laisser le parc ouvert pour permettre de meilleures allées et venues des chiens etc. L'implication et la volonté de ses éleveurs à chercher des combinaisons, des solutions, à faire des essais, permettent de trouver des clés, même si cele ne sera pas applicable partout. En effet, certains éleveurs ne souhaitent pas s'impliquer/travailler de cette manière avec des chiens, ne sont pas à l'aise avec le milieu du chien de protection (connaissance, pratique), ne possèdent pas des installations permettant de gérer des chiens hors des périodes d'estive (voisinage, plaintes), etc. Et lorsque ce sont des bovins concernés par des attaques, il est parfois difficile d'introduire des chiens de protection par la suite, c'est une réalité à prendre en considération. Mais nombre de pays utilisent des chiens de protection également avec des bovins, cela fonctionne.
Travailler avec du vivant nécessite également de prendre en compte un élément important : l'état physique et émotionnel des chiens (oui, les animaux, domestiques et sauvages, ont aussi des émotions, des ressentis, des états d'âme, des hauts et des bas, ressentent la douleur, la fatigue, le stress, l'ennui, la dépression etc.). Que ce soit le chien de protection ou le berger, ces états conditionnent également la fameuse efficacité, au fil de l'estive. Des chiens fatigués, vieux (restant à la cabane comme cela s'est déjà vu), pas adaptés à la protection (plus centrés sur leurs congénères ou l'humain que sur la protection du troupeau) créeront des brèches que le loup ne tardera pas à remarquer et à exploiter. La surveillance de l'état physique et émotionnel des chiens de protection est donc très importante. Sous-estimer ces états, qui fluctuent logiquement chez chaque être vivant, peut considérablement affaiblir l'efficacité de la protection, cela va s'en dire.
Vous avez, désormais, une vision plus globale de la protection, de son efficacité en fonction des moyens utilisés et des divers facteurs à prendre en considération. Il est donc nécessaire de retenir les points suivants, principalement :
- l'efficacité de la protection ne se mesure pas uniquement aux éventuelles baisses, stagnations ou augmentations des pertes sur les troupeaux, mensuelles et annuelles ! Les nombreux autres facteurs cités, qui ont une grande importance, doivent être connus et pris en compte dans l'équation, au fil des mois et années.
- la protection au moyen d'êtres vivants est plus compliquée à gérer car elle est évolutive, touchant aux capacités émotionnelles, sensorielles et est sujette aux divers changements fréquents chez les chiens (hormonaux, physiques, humeur, mental etc.). Elle nécessite une connaissance approfondie du milieu canin & lupin, de tous les individus concernés, de la situation et demande des adaptations et des remises en question constantes.
- une protection efficace ne passe pas par le "zéro perte" mais bien par une limitation de celles-ci dans chaque élevage, au travers de l'utilisation d'un maximum de moyens de protection (mécaniques et vivants). Et cela peut être conjugué, dans certains, avec le tir d'individus problématiques, telle que le prévoit la régulation réactive. Il est vital de l'assimiler car, comme mentionné, l'infaillibilité, au même titre que la perfection, n'existeront jamais avec tout ce qui touche à la nature et au vivant. Et peu importe ce que nous inventons et mettons en place, la réalité est que tout aura toujours une durée de vie limitée ! Nous devons donc nous faire à l'idée que nous aurons constamment besoin d'étudier, de nous réadapter, de tout réévaluer, c'est d'ailleurs ainsi dans moultes domaines de la vie : remise en question, adaptation & évolution restent les maîtres mots !
Article : TT - Mission Loup
Photo : Teddy Bracard