Mission Loup

Photo paul browning 2

L'ABC de la régulation - Proactive

Le 01/01/2024

Nous continuons avec la deuxième partie de notre série d'articles sur la régulation du loup. Nous abordons, cette fois, le nouveau mode de régulation, rentré en jeu depuis le 1er décembre 2023 dans la nouvelle Ordonnance qui, rappelons-le, est en phase "test" et ne rentrera, officiellement, en vigueur qu'en février 2025. Nous vous expliquons en quoi elle consiste et les réels effets sur les attaques autant que sur l'espèce Canis Lupus.

LA RÉGULATION PROACTIVE

La régulation réactive, comme nous l'avons vu précédemment, se base sur le tir d'individus ayant des comportements non souhaitables, telles l'attaque de troupeaux en situation protégée ou encore l'habituation à prédater les animaux d'élevage protégés (ou difficilement protégeables), à une intensité plus élevée qu'à la "normale". Elle concerne donc le prélèvement de l'individu ayant commis les prédations ou, à l'intérieur de meutes ayant dépassé les quotas de victimes, de louveteaux et de subadultes (jusqu'à 75% si preuve de reproduction dans l'année en cours). Plus rarement, le tir d'un des membres du couple reproducteur peut être mis en place, s'il est reconnu "coupable" de la majorité des prédations sur les deux précédentes années. Le but est donc de tenter de mettre fin aux attaques lorsqu'il s'agit d'individus solitaires ou, dans le cas de meutes, de faire baisser la pression. Mais, comme vous pourrez le découvrir prochainement, le tir de ces deux catégories d'individus ne porte pas ses fruits si le but visé est de faire descendre les pertes sur les animaux d'élevage, ce fait a déjà été maintes fois étudié, démontré, y compris en Suisse si nous nous basons sur les dernières années et les tirs déjà effectués dans ces situations.

Dès lors, ce tir ne sert, en pratique, qu'à "réduire" des quotas d'individus au sein de meutes, en espérant couper court à la dispersion de comportements non souhaitables. Or, ces derniers peuvent effectivement s'apprendre au sein de la meute dans laquelle les jeunes loups sont nés mais également après leur départ en dispersion. Mais ils peuvent aussi être appris à n'importe quel moment, durant toute la vie d'un loup, au gré des expériences, apprentissages, des rencontres avec son/ses futures partenaires etc. Pour rappel, un loup est un individu unique, ayant sa propre personnalité, caractère, éducation, vécu et il apprend, tout comme nous humains, tout au long de sa vie. Le seul cas où on observe une baisse significative des attaques, mais sur un temps relativement court (soit jusqu'au retour d'un autre loup), c'est le tir d'individus solitaires. Dans les autres cas de figure, les effets de la régulation sont beaucoup plus irréguliers, ne permettent pas de faire descendre drastiquement, comme le éellement le nombre d'attaques ou, si c'est le cas, de manière faible, dans des circonstances bien définies et sur une durée vraiment très limitée. Nous en expliquerons les raisons par la suite. 

La régulation proactive a, elle, un tout autre but, bien éloigné de toute considération scientifique ni même logique : réduire les effectifs de loups au niveau régional et national, au travers de l'élimination de meutes entières ou en prélevant des quotas d'individus n'ayant, possiblement, pas encore commis d'attaques. Elle va donc à contre-sens par rapport à la méthode réactive puisque le tir d'individus de manière arbitraire est mis en place, sans plus aucun recul sur les éventuelles conséquences, non seulement sur l'espèce mais aussi sur les attaques sur les animaux d'élevage. Une carte a d'ailleurs été établie par l'Office Fédéral de l'Environnement, au travers de l'Ordonnance, où seules douze meutes sont considérées comme "tolérées" en Suisse, alors que ce chiffre fournit jusqu'en 2023 était de minimum 20 meutes. Par exemple, le Valais, les Préalpes vaudoises et le canton de Berne ne devraient/pourraient avoir, à eux trois que...trois meutes ! Quand on prend en compte les territoires sur cette partie des Alpes, les réservoirs de proies, le besoin de régulation de ces dernières et la santé des forêts également, on ne peut que se demander comment un tel chiffre a pu être établi et quelles en sont les fondements scientifiques ! 

Malgré que la Loi ne prévoie le tir de meutes entières qu'à titre exceptionnel, la nouvelle Ordonnance a donné le feu vert à l'élimination de près de 60% des meutes suisses, sur plusieurs années (période de tir entre septembre et janvier, soit pendant 5 mois, chaque année dès 2024). Elle est possible dès le moment où la meute a tué un seul animal en situation protégée, ce qui est aberrant et permet donc un abattage massif. Le premier volet de tir est déjà en cours, il se tient du 1er décembre 2023 au 31 janvier 2024 et concerne l'élimination totale de deux meutes aux Grisons (deux autres verront 50 à 75% de leurs jeunes être prélevés) et...de sept meutes en Valais ! Cela reste extrêmement questionnable lorsqu'on s'intéresse aux dégâts causés par lesdites meutes sur les animaux d'élevage, en 2023 ! La meute des Hauts-Forts (VS) n'a tué que trois moutons, dont deux en situation protégée (sur le seul lieu de l'estive difficilement protégeable, l'éleveur l'a reconnu et accepté). La meute à Arsène a, quant à elle, tué 9 moutons dont 4 en situation protégée. Les 4 autres victimes ont été tuées par un mâle étranger à la meute, ayant possiblement rejoint celle-ci entre mi-août et début septembre (nous expliquerons tout cela dans le rapport officiel qui paraîtra au printemps 2024). En termes de gestion du loup et de sa régulation, si nous voudrions que le travail soit fait de manière juste, il est alors obligatoire d'avoir de solides connaissances sur la meute en question, son fonctionnement, d'établir un suivi génétique approfondi des individus et de confier ensuite l'interprétation, l'analyse de toutes ces données à une personne connaissant parfaitement le loup. En visualisant la situation dans son ensemble dans le Valais Romand, il semblerait que la notion de zones "tampon", autant que l'absence d'ADN pouvant permettre d'identifier l'une ou l'autre des meutes responsable des attaques sur les territoires se jouxtant, ne soient pas prises en compte et que l'interprétation des données soit très approximative, non approfondie, ce qui mène à des erreurs claires.

Dans toutes les études disponibles concernant la régulation du loup par méthode de "quotas", que nous appellerons donc "une chasse", il n'a jamais été fait mention d'une quelconque baisse drastique des attaques sur les troupeaux ni même d'une amélioration sur le moyen/long terme. L'exemple de certains départements français, où le loup est présent et définitivement installé depuis 1992, montre que les conséquences sur une éventuelle baisse drastique des attaques est plus que discutable et surtout très éphémère. Malgré l'intensification des tirs depuis 2018 (63 tirs entre 2018 et 2022, dans le département des Alpes de Haute Provence par exemple), les pertes n'ont baissé que légèrement, durant en moyenne deux ans, puis ont repris l'ascenceur, malgré une claire augmentation des tirs entre 2020 et 2022. A côté de cela, il est vital de comprendre que cette baisse peut aussi être due à d'autres facteurs que le tir, comme par exemple des élevages ayant augmenté ou adapté leur protection. Elle ne peut donc être attribuée à 100% aux tirs de régulation (appelés "tirs de défense" en France). Il est vital de compendre qu'absolument rien de ce qui se passe dans la nature ou avec le vivant n'est dû qu'à un seul facteur. En effet, tout est multifactoriel et différera d'une situation à l'autre, à tous les niveaux (environnement, topographie, méthodes d'élevage, protection utilisée, effectifs loups/meutes, leur fonctionnement/organisation, l'évolution au cours des mois/années, la forme de régulation mise en place, le braconnage etc.). 

En Suisse, pour le Valais, une statistique montre, à elle seule, le non sens de la réflexion selon laquelle tirer des quotas, des meutes entières permettra de réduire les attaques et soulager les éleveurs. Elle est on ne peut plus parlante :

2018 - 10/15 loups présents dans le canton - 1 meute officielle - 310 animaux d'élevage tués - 85% en situation non protégée (ou sur des pâturages non protégeables).

2023 - 100-120 loups présents dans le canton - 12 meutes officielles - 389 animaux d'élevage tués - 74% en situation non protégée (ou sur des pâturages non protégeables).

Nous constatons donc qu'en 5 ans, le nombre de loups s'est multiplié par 8-10, le nombre de meutes par 12 mais que les pertes ne diffèrent que de 79 animaux, ce qui reste donc assez similaire malgré l'augmentation claire et élevée des effectifs de loups. On dénote tout de même une meilleure protection dans le Valais Romand par rapport au Haut-Valais, où elle reste plus sommaire (moins de chiens de protection et de présence humaine, nombreux pâturages non protégeables etc.).

L'élimination de meutes entières mais surtout le tir arbitraire d'individus sans identification ni recul peut représenter un réel problème en ce qui concerne les attaques futures sur les animaux d'élevage. La mort d'un des membres du couple reproducteur va provoquer une réorganisation de la meute et l'arrivée d'un nouveau loup peut, selon sa personnalité, caractère, expériences et apprentissages vécus, conduire à des changements organisationnels et fonctionnels. Si cette meute n'était pas trop portée sur les attaques jusque là, comme par exemple celle des Hauts-Forts, la présence d'un nouveau reproducteur, aux moeurs différentes et possiblement plus "problématiques", peut mener à une augmentation de celles-ci. Ce fut le cas dans le Jura Vaudois avec la meute du Mont-Tendre en 2023. La disparition des deux membres du couple reproducteur provoquera, quant à elle, un départ en dispersion rapide des jeunes loups restants, ce qui, comme le prouve les études scientifiques américaines et européennes, peut également et logiquement mener à une augmentation des prédations sur les troupeaux (désorganisation, inexpérience, besoin de se nourrir, recours à un plus grand opportunisme et facilité etc.), sur un plus large spectre encore.

Sans compter qu'une régulation aussi intensive, puisque nous parlons là de sept meutes en Valais, peut conduire à une reproduction plus intensive, réaction logique et étudiée déjà par endroit en Europe et aux Etats-Unis. Elle est mise en place pour contrer la disparition rapide d'un grand nombre d'individus et assurer la survie de l'espèce. Elle reste quelque chose de probable dès lors qu'une régulation proactive lourde est mise en place. La génétique des loups peut, elle aussi, être touchée lorsque des meutes entières disparaissent et que les effectifs régionaux et nationaux s'affaiblissent considérablement. Et ça n'est pas non plus une excellente nouvelle en termes de maintien obligatoire d'une population saine, selon les lois suisses et internationales.

En conclusion, la régulation proactive ne se base pas sur l'élément principal/primordial qui est nécessaire pour gérer une coexistence entre l'homme et le loup : la gestion des conflits/attaques sur les animaux d'élevage. Elle est appliquée en partant du principe que la diminution du nombre de loups va automatiquement de paire avec celle des attaques sur les animaux d'élevage. Pourtant, nombre d'études, que nous vous citerons tout au long de cette série d'articles, montrent bien que ce mode de pensées est éloignée de la réalité du terrain.

Au travers de cet article, nous vous annonçons que la meute à Arsène a été totalement décimée par les tirs de régulation proactive. Elle est la seule meute helvétique à avoir complètement disparu, en 16 petits jours... Nous savions qu'elle était dans le viseur, notamment à cause de notre étude, qui dérangeait de par son côté non "maîtrisable". Ce qui devait être un projet sympa, sérieux, une collaboration où nous acceptions de livrer nos données, si besoin, aux autorités compétentes, a fini au Grand Conseil Valaisan, avec des demandes de sanctions...! Même si cela est on ne peut plus risible, cela montre bien que l'étude des loups posent de réels problèmes sur le terrain, au point que certains s'y opposent fermement. Mais nous resterons bien présents, pouvant désormais compter sur un grand renfort de membres, d'autres projets et collaboration sont déjà en cours ! Notre étude a permis de réunir de très nombreuses données en 2 ans, nous pourrons donc rendre un hommage posthume à la meute à Arsène et tenter d'apporter une petite pierre à l'édifice de la connaissance du loup en Suisse.


Etudes relatives

Oksana Grente - "Points chauds de déprédation du loup en France, analyses de regroupement en tenant compte de la disponibilité du bétail" - 2022

Kira Cassidy - "Human-caused mortality triggers pack instability in gray wolves" - 2023

Agrita Zunna - "Genetic Monitoring of Grey Wolves in Latvia Shows Adverse Reproductive and Social Consequences of Hunting" - 2023

 

Article : TT - Mission Loup
Photo : Paul Browning

loup nature étude prédation attaques régulation tirs effets conséquences troupeau meute disperseur