Les périodes dites de reproduction et de mise bas sont charnières dans la vie d'une meute, elles touchent à la survie de celle-ci mais aussi de l'espèce. Elles mènent également, et fort logiquement, à des modificiations organisationnelles et comportementales au sein de la meute.
La saison des amours a lieu entre mi-février et mi-mars. Chez le loup, la maturité sexuelle se produit généralement dans la 2ème année de vie, aux alentours de 20-22 mois. Les chaleurs de la louve n'ont lieu qu'une fois par année, contrairement à la majorité de nos chiennes (deux fois). Cependant, il n'est pas impossible qu'une femelle s'accouple lors de ses premières chaleurs, comme ce fut le cas d'une jeune subadulte de la meute du Val d'Hérens en 2022. Née en mai 2021, elle a été abattue suite à une autorisation de tir légale début mars 2022 et l'autopsie a montré une grossesse très récente. Physiologiquement parlant, une louve peut s'accoupler dès l'âge de 10 mois.
Durant la période de reproduction, le mâle est plus territorial, effectue plus de marquages urinaires et le couple se montre plus démonstratif l'un envers l'autre. Comme chez beaucoup d'autres espèces, le mâle repère le bon moment, qui correspond à la période d'ovulation (oestrus), dans les urines de la femelle, qu'il renifle fréquemment, ainsi que la zone vulvaire. Si la meute compte plusieurs mâles possiblement matures sexuellement, il peut alors y avoir des conflits parfois violents, qui peuvent mener à des changements hiérarchiques au sein de la meute.
Dans le cas où plusieurs femelles matures sexuellement sont présentes dans la meute, il se produit alors un phénomène assez extraordinaire : une forme de castration psychologique ! En effet, la femelle reproductrice se montre alors particulièrement agressive avec les autres, attaquant toute femelle s'approchant du mâle reproducteur pour l'empêcher de s'accoupler. Ces agressions répétées conduisent à une non-ovulation des autres femelles présentes et modifient alors leur comportement face au mâle reproducteur, même sans intervention de la femelle reproductrice par la suite. Ainsi cela permet de réguler les naissances et donc la population de loups, de manière naturelle.
Toutefois, comme la nature ne suit aucune règle fixe, il a été observé des naissances multiples dans les zones à faible densité de loups. Certaines meutes ont donc une reproduction provenant de la femelle reproductrice mais aussi d'une autre femelle de la meute. Cela peut s'expliquer par le besoin d'assurer la pérennité de l'espèce lorsque celle-ci n'est pas bien présente dans la région, au travers d'une reproduction plus intensifiée. Ce phénomène n'a, pour l'instant, pas été observé en Suisse ni dans les pays voisins. La densité de la population lupine étant assez importante dans les Alpes, les loups ne recourrerons donc pas à ce procédé et seule la femelle reproductrice sera la génétrice de la descendance.
En ce qui concerne l'accouplement, il a lieu en période d'oestrus, pendant laquelle la femelle est réceptive et accepte l'accouplement. Elle peut durer entre quelques jours et 2 semaines. Une fois l'accouplement terminé, comme cela est également le cas chez le chien, le mâle et la femelle restent attachés l'un à l'autre durant plusieurs dizaines de minutes, ils se retrouvent dos à dos. Ceci est dû au gonflement du gland et à la contraction du sphincter vaginal. C'est aussi le moment que choisissent parfois d'autres membres pour harceler le couple. L'accouplement se termine soit par une gestation soit par une grossesse nerveuse, due à la sécrétion d'hormones
Chez le loup, la gestation dure entre 62 et 64 jours. Dans nos contrées, la naissance a lieu entre fin avril et mi-mai mais elle varie en fonction, notamment, de la latitude. Les portées comptent entre 3 et 7 louveteaux, qui pèsent entre 300 et 500g et viennent au monde dans une tanière préalablement creusée par la meute ou déjà utilisée la/les année(s) précédente(s). Les petits naissent sourds et aveugles et le restent durant 8 à 12 jours. Pour autant, ils ne sont pas insensibles : ils perçoivent la température, la saveur, le toucher, la douleur et ont des réflexes (innés). Dans les premiers jours, ils dorment 90% du temps, le reste est consacré à la tétée. Le sommeil a un rôle très important pour la croissance et la maturation du cerveau. Durant la phase néo-natale, seuls les comportements innés (1) sont présents. Ce sont les réflexes inconditionnés et les patrons moteurs (2) fixés.
La femelle reste en permanence avec eux afin de leur procurer la chaleur nécessaire (hypothermie et mort très rapide à cet âge là) et les allaiter très fréquemment. Elle lèche leur périnée pour provoquer la miction et la défécation car les louveteaux ne le font pas spontanément. Ce léchage conduit également à l'apprentissage de la position dite "de soumission". Comme la femelle reproductrice ne peut donc chasser, elle est nourrie par son partenaire et, s'il y en a, d'autres membres de la meute. La nourriture est déposée devant la tanière, aucun membre n'a le droit d'y pénétrer, y compris l'heureux papa. Le travail du restant de la meute est donc orienté sur la chasse et le nourrissage de la femelle reproductrice à cette période.
Dès l'âge de 2 semaines, les louveteaux commencent à marcher et explorer l'intérieur de la tanière. L'entraînement pour les fameux hurlements peut déjà commencer vers l'âge de 3 semaines, sous forme de petits cris attendrissants. Une fois plus costauds, vers 25 jours, les louveteaux sont autorisés à sortir aux alentours de la tanière et font ainsi connaissance avec les autres membres de la meute. Ils commencent également la nourriture solide avec un comportement typique et très reconnaissable : le léchage des babines des autres individus. Ce dernier provoque la régurgitation de la viande précédemment ingurgitée lors de la chasse. Le sevrage a lieu entre 2 et 3 mois. Au travers de jeux, de la découverte de leur environnement et de contacts avec les autres membres, les louveteaux apprennent, au fil des mois, tout ce qui leur sera nécessaire à l'avenir, tel le développement des patrons moteur (2), divers apprentissages (d'abord au travers de jeux puis en accompagnant la meute dès l'automne), la socialisation, les comportements etc.
La reproduction dépend de plusieurs facteurs tels les effectifs actuels de la meute, l'état des ressources alimentaires (effectifs des proies), l'environnement, la survenue de pertes dans la meute etc. Selon les dires des spécialistes lupins ayant observé des meutes durant des décennies, les prédateurs peuvent donc s'auto-réguler afin de ne pas, fort logiquement, être en surnombre et faire disparaître leur garde-manger, ce qui les conduirait à leur propre perte. Mais il est aussi de mise de comprendre que des tirs ou du braconnage à répétition vont également pousser à une reproduction possiblement plus soutenue (en prenant compte des autres facteurs) afin de permettre la survie de l'espèce et de la meute elle-même.
Actuellement, Arsène et sa famille sont donc très certainement en train de s'occuper de leur nouvelle portée de louveteaux. Ils auront fort à faire ces prochaines semaines afin de nourrir Lupine et ses bébés.
Dictionnaire
(1) comportement inné : déterminé par l'hérédité et faisant partie du patrimoine génétique de l'animal (indépendamment de l'expérience/apprentissage de l'individu).
(2) Patron moteur : séquence innée de comportements génétiquement programmés.
Article : TT - Mission Loup
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