
C'est le genre de pistage où tout commence bien. Après quelques centaines de mètres sur le sentier, qui grimpe doucement entre les sapins blancs dans le Val d'Hérens, en Valais, deux morilles émergent de la mousse. Rien à voir avec le loup, mais possiblement de bonne augure en cette mi-juin. Bingo ! A peine le temps de reprendre la marche que, là, posées en plein milieu du chemin, des crottes fraîches du canidé. Toujours un instant magique. On l'imagine nous épiant, tapi dans les bois. Les conjonctures vont bon train sur la fraîcheur des excréments. Hélas, nous ne savons pas encore mais la chance a déjà tourné. Les deux pièges photo relevés à proximité ne laissent apercevoir que des images d'écureuils, chamois ou renards. La forêt ne livrera pas d'autre indice aujourd'hui.

Une meute amputée de moitié
Nous sommes au coeur du domaine vital de la "meute à Arsène", dont les individus sont étudiés depuis deux ans dans le cadre du projet Mission Loup. Menée par la directrice romande du Groupe Loup Suisse, Isabelle Germanier, et la biologiste/éthologue Virginie Nierat, cette étude doit permettre de mieux comprendre le comportement du prédateur dans notre pays, pour faciliter la cohabitation avec l'élevage et sensibiliser le grand public sur la vie d'une meute. "Ce projet nous trottait dans la tête depuis un moment, car on a très peu d'études de terrain sur ce grand prédateur en Suisse. On se base souvent sur des études américaines ou européennes", note Isabelle Germanier.
La grosse difficulté pour l'équipe, c'est que la famille étudiée a subi de plein fouet la phase de régulation proactive, qui a débouché sur la mort de 46 loups en Suisse, dont 27 en Valais, entre le 1er décembre 2023 et le 31 janvier 2024. "L'an dernier, avant les tirs de régulation, la meute comptait le couple reproducteur, un subadulte de l'année précédente et au moins 5 louveteaux. Un subadulte mâle, M397, est revenu sur le territoire de la meute peu avant le début des tirs. Cette décision lui a coûté la vie. Passé les tirs, il nous restait 4 individus : la femelle reproductrice, deux jeunes de 2023 et un(e) subadulte", constate Isabelle & Virginie.
Particulièrement visée pour les dégâts commis sur du bétail en 2021 et 2022 - entre 50 et 60 bêtes tuées (bien que seulement 14 moutons aient perdu la vie en 2023, dont 5 seulement en situation protégée) - la meute à Arsène a bien failli disparaître. Pour l'équipe, la période a aussi été difficile. "Il y a eu une grosse colère : on tire des individus à tord et à travers sans savoir qui ils sont, à quelle meute ils appartiennent. Avec un consensus scientifique, ça aurait pu être fait différemment en ciblant les meutes ou les loups auteurs de dégâts", soupire Virginie Nierat. "Ce que les gens ne comprennent pas toujours, c'est qu'en suivant une meute, on reconnaît les individus", complète sa collègue. "Le fonctionnement de chaque meute diffère. On a observé qu'une blessure peut conditionner comment ils chassent, l'endroit où ils se déplacent. Ce qui est dommage avec la régulation proactive, c'est l'absence de but scientifique. Il aurait fallu prélever deux meutes reconnues meurtrières pour le bétail (ndlr : Nanz & Augstbord) et voir comment ces familles se comportent au niveau des attaques, par la suite".
Reprise des tirs début septembre
Depuis le printemps, l'équipe de Mission Loup, une cinquantaine de personnes, replace des pièges photo et relève les indices sur le terrain. Isabelle Germanier espère recroiser les carnivores en chair et en os, comme lorsqu'elle avait saisi une chasse nocturne à l'automne 2023. "La jeune femelle est sortie de la lisière de la forêt de mélèzes, ici au-dessus de moi", pointe-t-elle dans un vallon à 2000m d'altitude, au-dessus duquel repose encore une bonne couche de neige. "La louve était à contre-vent et s'est mise à poursuivre une harde de cerfs. Les animaux ont commencé à fuir, avant qu'un gros cerf ne se retourne et la confronte. Ils se sont jugés, puis la louve a fait demi-tour, passant à 12m de moi".
L'équipe de Mission Loup n'assistera peut-être plus à une telle scène. Une nouvelle phase de régulation proactive a débuté au 1er septembre. "Si les tirs s'enchaînent, on a conscience, vu l'acharnement qu'il y a eu sur cette meute (ndlr : l'hiver passé et cette année, pour obtenir son tir), qu'elle a des risques de disparaître". Mais tout n'est joué. Le Conseil fédéral avait ouvert, jusqu'au 5 juillet 2024, une période de consultation au sujet de la révision par le Parlement de l'Ordonnance sur la Chasse (OChP), qui permet de tirer des loups avant qu'ils aient occasionné des dégâts. A son échelle, Mission Loup espère peser sur les débats en réhabilitant le prédateur pour restreindre les tirs à des individus problématiques.
Précision de Mission Loup : l'interview ayant été réalisé en juin 2024, certains faits ont été modifié en fonction de l'actualité, ceci afin que le lecteur puisse obtenir des informations certifiées et à jour. Nous précisons également qu'une erreur s'est glissée dans l'article papier original, nous l'avons corrigée dans le présent article. En effet, seule Mme Virginie Nierat est biologiste. Nous confirmons également qu'Arsène, le mâle reproducteur, a bien été abattu le 13 janvier 2024.
Cette année, la meute d'Hérens/Mandelon ne s'est pas reproduite, malgré les dires contradictoires des autorités. Elle est actuellement visée par les tirs de régulation, n'ayant tué que 3 moutons en 2024, dont 2 en situation protégée. Sur les deux loups abattus en novembre, au moins un n'appartient pas à la meute d'Hérens/Mandelon, en se basant sur le travail de terrain et les données disponibles.
Nous tenons à rendre hommage à Arsène, qui a été le premier individu que nous avons pu voir et qui a réussi à tenir sa meute malgré une situation délicate. Il restera toujours dans notre esprit et nos mémoires.
Article : La Salamandre Magazine - Camille Belsoeur
Photos : La Salamandre Magazine