Aujourd'hui, le braconnage est bien présent en Suisse et dans le monde, indépendamment des méthodes de protection utilisées, des subventions et des indemnisations versées. Non seulement cette pratique illégale a un effet négatif sur le maintien de populations saines mais c'est aussi un indicateur clair du faible niveau d'acceptation du prédateur, aujourd'hui encore.
Pourquoi cet acte est-il pratiqué, y compris dans des pays où se pratiquent déjà une régulation, prélevant parfois jusqu'à 19% de la population lupine ? En premier lieu, nous pouvons mentionner les attaques sur les animaux d'élevage, qui polarisent l'attention, notamment des médias et du monde politique. Le loup est l'arbre qui cache la forêt, le rendre responsable de tous les maux permet d'éviter d'avoir à résoudre les vrais problèmes de fond de l'agriculture. Au-delà du sujet émotionnel des prédations, il reste une haine nourrie et fort bien entretenue, ainsi qu'une peur ancrée dans nos sociétés, toutes deux présentes depuis des siècles. De plus, le loup, en tant qu'apex prédateur, peut donner un sentiment de pouvoir, de toute puissance à ceux qui arrivent à le tuer, voulant provoquer l'admiration de leurs pairs. Mais il est vital de remettre l'église au milieu du village : dans une société où les lois doivent être respectées par tous et toutes, où se faire justice soi-même est totalement illégal, le braconnier n'est tout bonnement qu'un criminel, ni plus ni moins !
Majoritairement, les attaques sur les troupeaux restent le motif le plus courant qui pousse au braconnage. Ses opposants reprochent à la régulation de ne jamais être "suffisante", souhaitant voir le loup tirer en masse pour réduire ses effectifs à quelques individus, voire à l'éradiquer, tout bonnement. Mais cette volonté se heurte aux lois européennes de protection, telle la Convention de Berne, qui préconise le maintien d'effectifs sains et la présence de meutes, pour assurer la protection et l'équilibre régional et fédéral des populations lupines. Il faut savoir que même si le loup est déclassé prochainement, cette obligation restera clairement en vigueur, ce qui annihile les rêves des opposants au loup. En effet, le "zéro perte" n'existera plus, le chemin vers cette réalité prendra du temps mais devra impérativement se faire.
La faible acceptation du prédateur provient donc d'une frustration constante des éleveurs, chasseurs et opposants, refusant de se confronter à cette réalité et nourrissant encore des attentes qui ne pourront jamais être comblées. La nature n'est pas contrôlable et le prédateur reste et restera prédateur. Un seul loup peut même faire plus de dégâts que plusieurs meutes réunies, comme le montre l'exemple de M121 dans le canton de Vaud. Il a tué plus de 82 animaux entre janvier et début novembre 2024, naviguant tellement qu'aucune des autorisations de tir n'a pu permettre de le tirer jusqu'ici. En comparaison, en 2023, les CINQ meutes du Valais romand visées par les tirs l'hiver passé (Chablais, Hauts-Forts, Les Toules, Hérens/Mandelon & Fou/Isérables) avaient prédaté 48 animaux au total, à elles cinq. Un autre exemple est celui des deux loups présents sur l'ensemble du Valais en 1999, qui avaient décimé 199 moutons en quelques mois. Ce chiffre correspond à la moitié des pertes occasionnées par les 120 loups et 9 meutes présents dans le canton du Valais en 2023 (389 animaux tués selon le reporting du Service de la Chasse, au 2 janvier 2024) ! Tant qu'il y aura des élevages peu ou pas protégés, que des pâturages non protégeables seront utilisés par des ovins et que quelques loups se baladeront dans les cantons, des attaques, possiblement très meurtrières, surviendront ! Ces endroits seront la cible logique des loups présents, c'est le serpent qui se mord la queue.
Le braconnage est en place partout où le loup (mais aussi ses proies, qui en sont aussi victimes) réside, c'est un fait qui n'est plus à prouver. Quelques carnotzets cachent en leur sein nombre de petits secrets d'alcôve, des histoires de tueurs de loup racontées comme des légendes...mais qui n'en sont pas.
Mais qu'en est-il de la mortalité due à des tirs illégaux ? En Italie, lors d'une récente conférence "Ente Nazionale UNIN" que nous avons suivie, les causes de mortalité du loup ont été établies comme suit :
Accidents routiers : 53%
Braconnage : 32%
Mortalité naturelle : 6%
Le projet européen "Life Wolfalps EU" (2) a mis sur pied une brigade anti-braconnage, se servant de chiens pour détecter les poisons dans des appâts ou des carcasses déposées sur les territoires. Elle remporte un certain succès et cet exemple devrait être appliqué à plus grande échelle, pour lutter efficacement contre ce fléau.
En Suisse, les tirs légaux occupent de loin la première place de la mortalité du loup, la circulation et le braconnage suivent, sans pour autant pouvoir établir un classement réel. En explorant et en faisant parler la génétique, elle peut livrer quelques indications intéressantes mais aucunement des preuves certifiées. Le braconnage reste un acte 100% illégal selon les lois suisses et européennes et soulève nombre de questionnements. Des loups sont tués sans que nous puissions, à aucun moment, les chiffrer ni connaître le réel impact que cela peut avoir sur l'évolution de l'espèce, en Suisse comme partout ailleurs. Et cela va se convertir en un problème encore plus sérieux si un assouplissement de la régulation du loup est mis en place. En effet, selon l'étude d'Adrian Teves & Guillaume Chapron (1), l'augmentation des tirs létaux officiels va souvent de pair avec celle du braconnage, libérant les derniers ramparts entre légalité et illégalité pour tuer plus d'individus, considérés comme des "nuisibles".
Les méthodes utilisées
Sans surprise, les méthodes sont variées et retors, tout comme l'imaginaire des individus les pratiquant. Et certaines sont particulièrement cruelles, attestant d'une profonde haine du vivant puisque d'autres espèces en sont également victimes, ce que savent pertinemment les braconniers.
1. La plus connue est le tir, au moyen d'une arme de chasse et souvent pratiqué de nuit, avec du matériel souvent non autorisé (silencieux, thermique, etc.). L'animal, une fois tiré, est enterré ou balancé dans un coin inaccessible, à l'abri des regards. "Pas de corps, pas de crime" dit-on dans le milieu judiciaire, cette méthode en est le reflet. Le hic est que le tir peut être manqué (n'est pas bon tireur qui veut) et le loup est alors blessé ou se voit contraint de survivre avec une blessure l'empêchant de chasser, ce qui finira par le tuer, plusieurs jours ou semaines plus tard. Ce fut le cas de la louve de Mayoux (photo de couverture), tirée en 2017 dans le Val d'Anniviers et qui a été retrouvée par deux gamins, loin du lieu du tir. Ou encore celui du louveteau de la meute du Chablais, retrouvé mort en janvier 2022, mais qui avait été tiré des mois auparavant. Il a survécu avec une blessure à l'arrière-train, qui a fini par l'empêcher de suivre la meute. Il est alors resté seul, ne pouvant plus trop se mouvoir et appelait la meute le soir pour la faire venir à lui. Il est finalement décédé, soit d'un affaiblissement dû à l'incapacité de chasser et de se nourrir ou soit d'une infection (septicémie). Non, le tir n'est de loin pas toujours létal, c'est un fait qui montre que les irresponsables le pratiquant ne sont vraiment pas des bons, dans tous les sens du terme. Il faut ajouter à cela des pseudo erreurs de tir, des chasseurs ayant "confondu" le loup avec un renard (...), gagnant au passage une jolie popularité dans leur région et peu de problèmes judiciaires ou financiers. "Erreur" avouée à moitié pardonnée non ?!
2. La seconde méthode utilisée est l'empoisonnement. Elle consiste à insérer du poison telle la mort au rat ou l'antigel (éthylène glycol) ou toute substance pouvant provoquer la mort dans des appâts ou des carcasses. Une fois le poison ingurgité, il provoque alors une hémorragie interne, une agonie provoquant des symptômes très douloureux et pouvant durer plusieurs heures/jours. Il est extrêmement facile de se procurer ces substances, disponibles librement, sans contrôle, dans les grandes surfaces. Il existe aussi une variante au poison, encore moins coûteuse : les bouts d'éponge. Cette méthode, en provenance des pays de l'Est et d'Autriche, a été amenée en Suisse ces dernières années. Elle consiste à découper en petits morceaux une éponge achetée dans le commerce, à les imbiber de sauce de rôti ou de sang et à les disséminés sur le territoire du loup. Lorsque l'animal ingurgite ce morceau d'éponge, au contact du suc gastrique, il se gonfle et provoque une occlusion intestinale. L'animal agonise pendant plusieurs jours, avec des douleurs indicibles, des contractions violentes et finit par mourir d'une péritonite (gangrène) ou d'un choc septique. Selon des vétérinaires, c'est une des méthodes les plus abjectes, montrant une totale déshumanisation de la part des personnes la pratiquant, dont certaines prétendent pourtant "aimer la faune et vouloir la protéger".
Malheureusement, autant l'utilisation de poison, de bouts d'éponge que de lames de rasoir, ne tue pas que des loups, bien au contraire. Ces derniers possédant un grand territoire (150-250 km2), les appâts sont majoritairement avalés par de plus petits prédateurs sauvages (renards, blaireaux, fouines, martes, belettes, sangliers, oiseaux de proies, chouettes, etc.) mais aussi, et c'est très grave, par nos animaux domestiques ! Au printemps 2024, deux chiens, dont un chiot de 6 mois, ont péri sur le territoire de la meute du Fou (Valais). Chiens, chats et nombre de petits prédateurs sont donc les victimes collatérales de ces méthodes de tueurs de sang froid, qui se moquent éperdument d'infliger des souffrances terribles à des animaux, autant sauvages que domestiques ! De telles pratiques mettent en lumière un fort degré de sociopathie chez les personnes les appliquant, ce qui est d'autant plus inquiétant !
3. Il existe aussi la possibilité d'installer des pièges à mâchoires ou à collet. Le premier se referme sur la patte de l'animal, qui ne peut alors plus sortir ni s'échapper. Soit ce dernier agonise parce qu'il ne peut plus se nourrir et boire pendant des jours/semaines (certains se sont même rongé la patte pour se dégager) ou soit il est tué par le braconnier, au moment du relevé du piège. Quant au second, il saisit l'animal au cou lors de son passage, l'emprisonnant et l'étouffant, comme lors d'une pendaison. La première méthode, même si plus rare, a déjà été signalée en Suisse et la seconde a fait l'objet de procédures judiciaires puisqu'elle a servi à tuer nombre de lynx qui passaient du canton de Vaud à celui du Valais, afin d'empêcher ce prédateur d'arriver dans le second.
En Suisse, les rares cas avérés de braconnage, où le cadavre du loup a été retrouvé, n'ont jamais permis de trouver ni de condamner les coupables. Il existe également des méthodes pour contraindre toute personne ayant été témoin ou ayant connaissance d'un fait répréhensible, à garder le silence. Pneus crevés, affiches ou lettres déposées, menaces, harcèlement, tout est bon pour faire pression car il existe une omerta, en Valais notamment. Il est juste de mentionner que beaucoup de personnes ayant une profession en lien avec la clientèle ou vivant depuis toujours dans un lieu, ne dénonceront/témoigneront pas car elles savent pertinemment qu'elle risquent de tout perdre, de devoir déménager. En effet, les menaces et le harcèlement perdurent bien après le dépôt de plainte ou le passage devant le Ministère Public. Quant aux dossiers ayant éventuellement été transmis aux autorités judiciaires, aucun n'a jamais mené à une quelconque condamnation, sans surprise au vu de tout ce qui vient d'être cité.
Les problèmes engendrés par le braconnage
Ils se dévoilent sous plusieurs formes :
1. Inchiffrable, le braconnage peut mettre en péril la santé des populations de prédateurs (loups/lynx), au niveau régional mais aussi national. Si des plans de régulation sont mis en place, au travers de quotas ou de pourcentages plus élevés qu'actuellement (la Suisse ayant déjà largement transgressé les lois fédérales et européennes), la part de mortalité due au braconnage ne pourra, elle, jamais livrer de statistiques claires. Cela peut donc, assez rapidement, mener à des chutes d'effectifs, fragilisant à nouveau le seuil de survie de l'espèce. Il est important de préciser que la science devenant l'abonnée absente dans la manière de procédé d'un certain canton suisse mais aussi de pays où la pression politique prend bien trop de place, les comptages et l'interprétation/évaluation des données et effectifs ne seront alors pas exacts, approximatifs voire carrément manipulés, comme on l'a vu cet hiver. Ceci fait craindre une régression nette des populations lupines.
2. Le braconnage entraîne la mort de nombreuses autres espèces, des dommages collatéraux évitables mais surtout condamnables ! Les prédateurs meurent en ingurgitant du poison ou en mangeant de plus petites proies l'ayant consommé. La problématique peut également toucher des animaux domestiques, entraînant des soins vétérinaires coûteux, des expériences traumatisantes pour les propriétaires voire la mort, qui ne se rachète aucunement avec des excuses ou une quelconque somme versée en dédommagement (si le coupable est trouvé et condamné). Le poison a un champ d'action bien plus important qu'on ne le pense, c'est donc un problème sanitaire très sérieux, alarmant, qu'il ne faut pas sous-estimer.
3. Le braconnage et sa fréquence ne dépendent pas réellement d'une variation du nombre de prédation sur les troupeaux mais plutôt d'un faible niveau d'acceptation d'une partie de la population. La méconnaissance du prédateur, dont l'éradication pendant un siècle a entraîné des changements drastiques dans le fonctionnement de l'agriculture et l'abandon de pratiques ancestrales, est bien présente. Elle s'accompagne également d'un refus d'accepter le fonctionnement de la nature, d'un besoin de vouloir la contrôler, la soumettre et de pressions politiques, très souvent dénuées de toute connaissance du sujet dans sa globalité. Dès lors, la baisse des prédations ne pourra jamais suffire, comme le montre déjà les exemples de certains pays, notamment la France, où l'augmentation des tirs légaux va crescendo mais où les pertes, elles, ne suivent pas la courbe inverse. En 2018, en Valais, 269 animaux d'élevage avaient été tués et la situation était déjà, selon les éleveurs et politiciens à l'époque, insoutenable, intolérable, alors qu'il n'y avait que 2 meutes et une vingtaine de loups seulement. Depuis, en 2023, le nombre de meutes a été multiplié par 4 et les effectifs de loups par 6 mais les pertes, elles, n'ont touché que 120 animaux de plus. En écoutant les revendications, il faudrait donc abattre 84% de la population actuelle afin de revenir aux effectifs d'une époque où...ça n'allait déjà pas ! L'instatisfaction sera donc continuellement au menu, quel que soit le nombre de loups abattus, autant pour le monde pastoral que politique. Tout le problème est là.
L'avenir et la manière de le gérer
Vous l'aurez compris, le braconnage est un réel problème et ne disparaîtra pas, peu importe les décisions politiques, les procédures ou les quotas de régulation mis en place. Il aura certainement tendance, au contraire, à augmenter, ce qui pourrait engager, à moyen/long terme, la survie de l'espèce Canis Lupus. Nous entamons donc une ère de possible régression, où tous les efforts fournis, notamment dans la mise en place d'une protection la plus complète possible (la seule vraie solution), l'information, la formation l'étude de terrain, seront balayés par la promesse de régler le "problème" au travers de tirs toujours plus intensifs. Et ce au détriment d'un suivi scientifique de qualité, notamment en ce qui concerne la génétique, qui reste la clé principale pour comprendre cette espèce, son fonctionnement et sa gestion des territoires.
Prévenir le braconnage n'est pas aisé, entre le nombre de méthodes utilisées et la difficulté à repérer certaines d'entre elles. Nous conseillons à toute personne qui découvre des appâts (bouts de viande ou d'éponges, appâts, carcasses attachées ou emballées) ou des pièges (machoîres, collets) de signaler immédiatement ces trouvailles à la police/gendarmerie cantonale ainsi qu'au Service cantonal vétérinaire et à Groupe Loup Suisse.
Nous verrons de quoi sera fait l'avenir du loup mais il est maintenant certain que nous n'entamons pas une ère où la coexistence sera le maître mot ni l'objectif, au vu des méthodes aujourd'hui appliquées par le chef du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) et de son parti, entre autres.
Nous reviendrons, ces prochains mois, sur l'actualité de Mission Loup, qui a participé à un projet de très grande envergure, pour notre plus grand plaisir. Patience...
Références & études
(1) Blood does not buy goodwill : allowing culling increases poaching of a large carnivore (2016)
(2) Life Wolfalps EU - les mesures contre le braconnage
(3) Étude sur le braconnage en Suède
Article : Team Mission Loup
Photo : Le Nouvelliste (louve de Mayoux - Anniviers) & CUFA/Life Wolfalps EU (loup empoisonné) & France 3 Région (2021)