Le loup est un des animaux sauvages les plus étudiés au monde, depuis près d'un siècle. Mais lorsque l'on connaît les moeurs du prédateur, la grandeur de son territoire, ses constants déplacements, nocturnes principalement et sur de longues distances, il est clair que l'étudier est une tâche extrêmement ardue. Pour comprendre certains domaines ou tester des mesures de protection, des études ont été effectuées en milieu anthropisé, notamment en ce qui concerne les interactions et tout ce qui touche au comportement intra-espèce. Puis, avec l'apparition de matériel d'observation et photographique/vidéo et de déplacement plus perfectionné (caméra, vision thermique, quad, moto-neige, avion etc), les études ont enfin pu prendre place dans le vraie lieu de vie du loup : la nature.
Nous citerons les dires de David Mech, un des plus grands spécialistes mondiaux du loup, qui l'étudie depuis les années 1960 : "le comportement de chasse des loups a fait couler beaucoup d'encre et on leur attribue souvent l'utilisation du travail d'équipe dans leur quête de nourriture. Cependant, la plupart des conclusions sur les habitudes de chasse du loup sont basées sur des ouï-dire, de vieilles descriptions publiées par des observateurs non objectifs (connaisseurs) et l'interprétation de traces dans la neige. Les observations réelles et certifiées de loups chassant des proies naturelles sont rares, et les comptes rendus précis de ces actions le sont encore plus".
Cela montre bien la complexité d'obtenir de réelles informations, fondées, et des enseignements sur quel chasseur le loup est vraiment. Depuis cette citation de D. Mech, beaucoup de biologistes, américains notamment, ont continué les études en milieu naturel. L'avion est souvent utilisé aux USA pour suivre les loups et assister aux parties de chasse des meutes, le terrain le permettant (grandes étendues). Dès lors, il a été possible d'observer nombre de tentatives et de prédations de meutes sur des proies sauvages, tel le cerf, l'élan, le caribou, les bisons et même des lièvres arctiques.
Voilà ce qui ressort des nombreuses études, sur des décennies, concernant le loup : c'est un chasseur très perspicace, un prédateur capable d'évaluer très rapidement le rapport coût-bénéfice de l'attaque d'une proie. Pour résumer, il sait à quel moment il peut attaquer et avoir de la nourriture pour plusieurs jours mais aussi à quel moment l'attaque peut être dangereuse (blessure) ou fatale pour lui. Sachez que des cerfs de Virginie, qui sont une des espèces d'ongulés les plus petites parmi les proies du loup américain, ont déjà tué des loups. Un coup de bois, de patte mal placé et le loup peut mourir sur le coup ou par la suite (infection, incapacité à chasser, qui mène à un affaiblissement puis à la mort). Dès lors, cette capacité à pouvoir juger très rapidement ce ratio "avantages/inconvénients", y compris en choisissant de préférence une proie plus faible, âgée, malade, blessée ou inexpérimentée, est une preuve de l'intelligence et de la capacité d'adaptation du loup.
Les loups doivent, pour se nourrir, rattraper leur proie en fuite, la ralentir, la mettre à terre puis à mort, notamment au moyen de morsures à la gorge et/ou à la nuque (étouffement, égorgement ou en brisant la colonne cervicale). Pour les plus grosses proies, telles que les élans ou les bisons, qui résistent souvent, les loups doivent les affronter et tenter de les mordre jusqu'à ce qu'elles soient incapables de se défendre. En raison de cette lutte prolongée, les loups sont beaucoup plus vulnérables aux blessures ou à la mort causées par leurs proies que les félins. Ces derniers peuvent se servir de leurs pattes et ont une grande souplesse, des armes que ne possèdent pas le loup.
Outre les adaptations physiques que possède le canidé sauvage, les spécialistes estiment que les loups possèdent plusieurs caractéristiques comportementales/psychologiques/cognitives qui leur permettent de s'adapter à leur mode de vie de chasseur. Nous trouvons, par exemple, la persévérance/persistance, la coordination, la coopération, la dissimulation, la stratégie et la cartographie cognitive. Les loups ont une grande capacité d'apprentissage et jouissent d'un bon fonctionnement cognitif. Plusieurs études expérimentales montrent que les loups apprennent diverses tâches au moins aussi bien que les chiens domestiques et, pour certaines tâches, mieux que les chiens.
Suite à des tests sophistiqués touchant à la cognition des loups, certaines données montrent que les loups sont excellents dans l'utilisation de la communication visuelle. Ce trait de caractère leur est certainement utile pour chasser avec leurs congénères. Il a été observé (Clarke, 1971) que la coordination entre les loups dans des circonstances de chasse se fait apparemment par des échanges visuels et que les loups ne vocalisent pas pendant qu'ils chassent. De plus, les loups font preuve d'une plus grande perspicacité que les malamutes lors de tests standards en laboratoire (Frank, 1989) et semblent parfois faire preuve de prévoyance, de compréhension et de capacité à planifier dans le cadre de leur stratégie de chasse (Mech, 2007). L'utilisation de l'un ou l'autre de ces traits pendant la chasse serait fortement sélectionnée par le besoin des animaux de tuer sans être tués.
A suivre prochainement : quel chasseur le loup est-il vraiment - seconde partie
Article : TT - Mission Loup
Photo : Jacques Bibinet
Réf. : D. Mech, D. Smith & D. MacNulty