Parfois, en matinée ou en fin de journée, plus rarement encore entre ces deux périodes, un loup peut être aperçu lors d'une balade ou à proximité de villages. Cette observation rentre alors en confrontation avec l'idée que nous nous faisons du prédateur et de toute espèce dite "nocturne". En effet, selon notre imaginaire, les animaux nocturnes, dont le loup, devraient s'enfoncer au plus profond des forêts aux premières lueurs du jour et ne ressortirent qu'une fois la nuit tombée. Nous les imaginons tapis au fond d'un terrier, d'une tanière ou couchés sous un arbre, dormant paisiblement. La réalité est fort différente, beaucoup plus nuancée que nos pensées. Certes les animaux nocturnes préfèrent se déplacer et chasser la nuit, évitant ainsi la présence humaine et, pour certains, avoir des avantages que d'autres espèces n'ont, possiblement, pas.
Le fait que les espèces dites "nocturnes" soit plutôt actives la nuit ne signifie aucunement que ces dernières n'ont aucune activité en journée (manger, jouer, interactions intra et inter espèce etc.). Certaines fois, les prédateurs chassent même, dès le moment où la prédation n'a pas été fructueuse les nuits précédentes. Leur vie sociale s'organise également durant la période diurne, même si elle peut être moins intense : les louveteaux jouent, les subadultes participent ou partent parfois prospecter etc. Certes les déplacements sont réduits car empreints de sécurité, l'humain fourmillant et se déplaçant beaucoup en journée, y compris dans la nature. Mais ils ne sont aucunement inexistants !
Certaines espèces, comme les cervidés, préfèrent également se déplacer la nuit, même s'ils sont fréquemment vus en début ou fin de journée dans les prairies et pâturages. Ceci s'explique par le fait que le ruminant doit s'alimenter plusieurs fois par jour, notamment le chevreuil qui peut manger jusqu'à 8x par 24h. Les cervidés alternent donc les moments de rumination, de repos avec les sorties pour se sustanter. Nous pouvons également citer l'exemple du renard : l'humain l'a longtemps catalogué comme nocturne, considérant alors les sorties diurnes comme provenant d'animaux malades ou au comportement déviant. Aujourd'hui, nous avons pu acquérir de nouvelles connaissances et prouver qu'il n'en est rien.
Les animaux ont acquis des connaissances sur des milliers de générations, qu'ils transmettent ensuite à leur propre descendance. Certaines sont inscrites dans les gènes au travers d'instincts (protection, survie etc.) et d'autres proviennent de l'éducation, des expériences vécues et des apprentissages, ce que nous appelons l'épigénétique (1). Nous pouvons mentionner la fameuse "crainte" de l'homme, ce dernier étant considéré comme un prédateur, y compris par le loup. Cette peur ne peut s'édulcorer que lorsqu'il y a une habituation par l'homme (nourrissage ou déchets laissés près des habitations sur un temps assez long ou encore à la domestication) ou si la chasse humaine n'est est plus pratiquée durant plusieurs générations. On peut observer ce changement de comportement notamment aux Abruzzes, où les cervidés n'hésitent pas à traverser les villages en plein jour et y établir domicile après 70 ans sans chasse. La rage, maladie s'attaquant au cerveau du canidé, fait également tomber la crainte de l'homme et pousse à une certaine agressivité mais elle a maintenant disparu de Suisse depuis les années 90.
Les choses sont donc claires : la perte de la crainte de l'homme n'arrive pas en un clin d'oeil et encore moins sans raison aucune ! Souvent, le peu d'incidents répétoriés avec des prédateurs sont d'ailleurs provoqués par l'homme tel le nourrissage ou une mauvaise gestion des déchets, créant alors une forme d'habituation hautement négative. Bien souvent, l'humain se fait également de fausses idées sur la façon dont un animal devrait réagir lors de rencontres, d'autant plus si ce dernier lui inspire une certaine crainte. Plusieurs facteurs sont, là encore, à prendre en compte pour évaluer la situation et dont dépendront les réactions de l'animal, le temps qu'il mettra à fuir, son comportement etc.
Le loup en pratique
Parlons "pratique" maintenant : lorsqu'un loup ou un animal dit nocturne est aperçu en journée, cela peut également être dû à un dérangement de l'humain, qui vadrouille dans les forêts et montagnes à toute saison. Cela contraint la faune sauvage à se déplacer ou à fuir, la sortant alors de sa zone de protection et la poussant en direction d'endroits à découvert. Elle sera alors vue, pourra se retrouver face à un village, des habitations ou à la présence humaine. C'est assez fréquent.
Chez le loup, les subadultes en dispersion, n'ayant eu parfois que peu d'interaction avec la civilisation humaine, peuvent être plus curieux et fuir moins rapidement. En se baladant sur un territoire qui leur est parfois inconnu, ils peuvent donc se retrouver en zone habitable ou à découvert, par accident. Il est aussi avéré, au travers d'études très récentes, que si un loup est aperçu en journée, c'est très souvent des subadultes qui choisissent cette période horaire lors de leur dispersion pour traverser le territoire de meutes. En effet, ces dernières se déplacent majoritairement de nuit, donnant alors une chance au disperseur de ne pas faire une rencontre qui le mettrait clairement en grand danger de mort.
Les observations de loups, majoritairement, ne durent que très peu de temps, la fuite sera l'option choisie mais, attention, pas forcément au pas de course, elle sera adaptée à la distance qui sépare le prédateur de l'homme, entre autre. Cependant, le loup et la faune en général ne relient pas l'homme à la voiture et autres machines. Leur comportement est alors différent, les rencontres peuvent durer plus longtemps et la fuite ne viendra qu'une fois l'homme repéré par l'odeur, la vue ou le son.
Ces rencontres diurnes, parfois proches de nos villages, ne sont donc pas une anomalie comportementale ou un signe clair, à lui seul, de danger immédiat. D'autres facteurs doivent être pris en compte pour évaluer la dangerosité d'une situation ou d'un prédateur, telle la durée de la présence du loup au moment de l'observation, la distance le séparant de l'humain (et sa tolérance en la matière), son comportement, la fréquence avec laquelle il s'approche, etc. Le loup se montre rarement en journée si nous nous basons sur le nombre de loups présents, l'entier de leurs déplacements sur leur territoire, les milliers de kilomètres annuels effectués et le nombre de rencontres de ce type signalées.
La présence d'un loup doit être systématiquement signalée aux gardes-faune dans les zones d'habitations, ceci afin qu'une surveillance soit mise en place. Cependant, la présence de loups solitaires, comme cela arrive parfois, n'est souvent que très éphémère, ne durant que quelques minutes. Si le loup reste à proximité d'habitations pendant plusieurs jours (plus de 3 selon la loi), il est alors nécessaire de procéder à des tentatives d'effarouchement. Si ces derniers ne produisent pas l'effet escompté, le tir létal sera ordonné. En effet, un loup bien portant, sans problème, ne cherchera pas la proximité avec l'homme sur une longue durée, en-dehors de rencontres fortuites. Nous pouvons donc conclure qu'un individu restant près de villages, sans forcément fuir, est un loup malade, blessé ou vieux, ne pouvant souvent plus chasser et donc se nourrir par lui-même. Dans ces circonstances, même avec nos animaux domestiques, nous savons que les réactions et comportements peuvent changer. Cela augmente les risques d'attaques sur les troupeaux mais aussi, même si cela n'est arrivé qu'extrêmement rarement et va souvent de paire avec des comportements humains inadaptés (méconnaissance), de morsures défensives.
Connaissance
Il est alors important que, de notre côté, nous apprenions à connaître la faune, ses instincts et comportements afin d'appliquer les bonnes méthodes et réflexes. Outre les mesures comportementales comme éviter de courir, de provoquer et rester immobile et calme, nous pouvons également citer l'interdiction de nourrir la faune sauvage (même en hiver, quelle que soit l'espèce) et éviter de laisser traîner les déchets et sacs poubelles. C'est d'ailleurs souvent la cause principale des très rares incident impliquant des renards ou des loups. En effet, une fois que ces derniers relient la nourriture facile à l'homme, ils peuvent s'enhardir, devenir moins méfiants, plus insistants. Ajoutez à cela la méconnaissance des bons comportements à adopter face aux canidés et là commencent les problèmes. L'humain a donc un grand rôle à jouer en approfondissant ses connaissances sur les animaux, domestiques et sauvages et appliquant la bonne méthodologie.
En conclusion : l'observation de loups en début ou fin de journée ne provient pas de troubles comportementaux (pathologiques) ni de perte de la crainte de l'homme. Un animal nocturne, un prédateur ou tout autre animal sauvage vu près d'habitation de manière éphémère (autant en terme de durée que de fréquence) n'a donc pas de comportement considéré comme déviant ou anormal. Une simple surveillance et une connaissance des bons comportements à adopter permettent de mieux les appréhender.
Dictionnaire
(1) épigénétique : relatif à l'hérédité de caractères, de modifications, d'informations qui ne sont pas portés par les gènes mais appris au travers de l'éducation, d'apprentissages et d'expériences vécus.
Article : TT - Mission Loup
Photos : Mission Loup