Nous avons pu découvrir, dans les précédents articles, les capacités que possèdent le loup, autant physiques que stratégiques lorsqu'il chasse. Parlons maintenant des étapes qui constituent la chasse d'une proie. Sur ce point, au fil des décennies et des études réalisées par de nombreux grands spécialistes du loup et biologistes, les avis différaient. Tout d'abord, les phases de chasse ont été établies comme suit : la recherche, la poursuite puis la capture (Holling, MacArthur, Pianka - 1966). David Mech, dans les années 1970, a approfondi l'observation sur des élans et des bisons (plus de 2000 heures sur le terrain) et a donc étiqueté les phases comme suit : la traque, la rencontre, le lancement de l'attaque et la poursuite. En 2007, D. MacNulty a proposé une analyse du comportement de prédation en définissant les étapes selon ce schéma : la recherche, l'approche, la surveillance, l'attaque du groupe, l'attaque de l'individu et la capture. Cette analyse a ensuite été testée par des chercheurs sur cinq autres espèces de grands carnivores, ainsi que sur cinq populations de loups autre que celle de Yellowstone (la plus souvent étudiée depuis la réintroduction des loups en 1995 dans ce parc naturel de l'État du Montana - USA). L'analyse de MacNulty s'est révélée être effectivement appropriée et reste, à ce jour, la représentation le plus juste des étapes de chasse des loups.
La phase de recherche débute à chaque fois que les loups se déplacent. Ils passent perpétuellement leur environnement au crible, en se basant sur la vue, l'odeur et le bruit. Tout animal repéré peut donc devenir une proie. Il arrive parfois que les loups approchent une proie sans avoir localisé son emplacement, tel le cerf dans une forêt dense. D'autres fois, ils s'approchent de zones où ils savent, par expérience, que des proies s'y trouvent, tels les castors ou les jeunes lièvres. Dans ce cas précis, la phase de recherche consiste à simplement avancer vers cette zone, se contenter parfois de surveiller ou guetter leurs proies. Les loups vont alors attendre que la proie soit en position vulnérable et avancer. Cette phase a été étiquetée comme "le lancement de l'attaque" par D. Mech et comme "la phase d'attaque" par D. MacNulty.
Avec les proies se trouvant sur des espaces ouverts (cerfs, caribous, bisons), les loups doivent alors étudier leurs proies. Chez les animaux vivant en groupe/harde, on peut alors clairement voir la phase d'attaque de groupe, qui passe ensuite à l'attaque d'un individu, souvent celui qui a pris la mauvaise décision (direction, éloignement du groupe) ou qui est inexpérimenté, vieux, malade, blessé etc. Ces deux types d'attaque peuvent impliquer la poursuite ou l'arrêt, selon si les proies fuient ou, comme nous l'avons vu précédemment pour certaines, se stoppent et confrontent les loups.
La phase d'attaque d'un individu est la phase la plus critique, celle où les loups vont devoir évaluer la situation, les risques encourus pour leur propre sécurité et peser le pour et le contre. La poursuite est un investissement énergétique important , il n'est pas rare qu'après la capture d'un lièvre, le prédateur se repose avant de pouvoir manger. Chez les grosses proies, parfois les loups blessent l'animal, se reposent, parfois plusieurs heures, avant de relancer l'attaque et le mettre à mort définitivement. Les loups, comme nous l'avons vu, ont donc une haute capacité à évaluer le rapport coût/bénéfice, ils jugent rapidement de la situation, soit si la chasse est utile ou non.
Malgré cela, il est important de savoir que l'issue d'une chasse mène plus souvent à un échec qu'à une réussite. Cela dépend de multiples facteurs, tels l'espèce, la saison, l'environnement, les circonstances, la situation etc. Les loups ont souvent de la difficulté à attraper une proie. Neuf études sur quatorze ont rapporté des taux de réussite de 1 à 9 %, et d'autres de 13 à 56 %, en fonction du nombre de proies concernées. En fonction du nombre de groupes de proies attaqués, le taux de réussite pour tuer un seul individu varie de 10% à 49%.
Ainsi, les loups mènent littéralement une existence de festin ou de famine. Cependant, ils sont bien adaptés à ce type de vie. La période la plus longue pendant laquelle un loup est resté sans manger est de 17 jours. Un chien a, quant à lui, survécu 100 jours sans manger, perdant 63% de son poids. C'est pourquoi, quand un loup réussit à tuer une proie, il peut manger jusqu'à 10 kg de viande. Les loups qui ne parviennent pas à chasser pendant trop longtemps peuvent également se contenter de récupérer des restes ou de faire les poubelles pour se maintenir en vie.
Le processus de la prédation de proies chez le loup, qu'il s'agisse de lièvres, de cerfs, de caribous, de bisons ou de toute autre espèce, n'est qu'un phénomène complexe parmi une myriade d'autres dans l'ensemble de la nature. Cependant, c'est la clé de la survie du loup et pour quiconque qui s'intéresse au prédateur, c'est un processus fascinant. Comprendre la réalité du comportement de chasse du loup, en particulier les nombreuses limites de ses capacités en matière de prédation, est essentiel pour le comprendre, ainsi que ses interactions avec les proies.
Article : TT - Wolf Mission
Photo : Arnaud Marchais
Réf. : D. Mech, D. MacNulty, L. Boitani, Crisler, Makridin, Howe, Peterson, Ciucci