Dans l'article précédent, nous avons pu découvrir les capacités du loup en ce qui concerne la chasse. Il est bien clair que l'instinct de prédation est génétique, transmis donc à la descendance par les gènes. Mais les comportements sont, quant à eux, appris au travers de l'éducation, des apprentissages et expériences vécus, de l'observation, de l'imitation etc. Ils ne sont donc, à l'exception des patrons moteur fixés (séquences comportementales) et des réflexes, pas génétiques. Dès lors, le louveteau naît en ayant l'instinct de prédation mais va devoir, par la suite, développer ses capacités, apprendre tout ce qui touche à la chasse, notamment les stratégies, la communication, l'organisation, etc. Cet apprentissage commence déjà dès les premières semaines, tout d'abord au travers du jeu principalement (entre louveteaux) mais aussi en s'entraînant avec des insectes, des rongeurs. Ensuite, comme l'ont démontré deux spécialistes lupins ayant pu observer des chasses de meutes sur le terrain (D. Smith & D. MacNulty), le développement de l'abilité à prédater a lieu en deux phases :
Phase 1 : basé sur l'apprentissage au travers de l'observation --> elle peut durer jusqu'à 2 ans)
Phase 2 : basé sur la chasse en meute (organisation, communication, stratégies etc-) --> elle a lieu entre l'âge de 2 et 4 ans.
En expérimentant, le loup apprend vite qu'il y a certaines proies qu'il vaut mieux laisser tranquilles, notamment s'il est seul. Dans nos contrées, où il existe peu de grosses proies en-dehors du cerf rouge, les loups solitaires préfèrent s'attaquer à des animaux plus petits (chevreuils, chamois, lièvres, rongeurs, etc.). A l'exception des veaux de moins de deux semaines, les attaques sur les bovins de 100kg et plus sont, l'immense majorité du temps, menées par des meutes. Le loup doit donc trouver un juste milieu entre crainte et agressivité. Un loup trop craintif pourrait rapidement souffrir de la faim. Et un loup trop agressif pourrait être blessé. Donc, d'une manière ou d'une autre, la plupart des loups trouvent ce juste équilibre entre trop d'agressivité et trop de timidité. Sinon, ils meurent ! C'est donc la plus grosse problématique du loup : tuer sans être tué.
Mais avant que le loup ne soit confronté à ce dilemne, il doit résoudre un autre problème : trouver une proie et s'y confronter. Et c'est là que le comportement des proies peut, justement, différer. Au fil de l'évolution, les proies ont appris des stratégies qui varient selon le milieu dans lequel elles évoluent. C'est le cas des ongulés (cerfs, chevreuils, chamois etc.) qui, comme vous l'avez découvert précédemment, peuvent également blesser ou tuer le prédateur. Parmi ces stratégies, nous pouvons citer la plus évidente : voir le prédateur avant que ce dernier ne les repère. Cela demande donc aux ongulés d'adopter une vigilance accrue, d'observer les environs fréquemment, à tout moment. Cela a un coût au niveau énergétique, c'est pour cette raison que d'autres stratégies viennent alors en complément, tel le regroupement en harde, la fragmentation en plus petits groupes, l'évitement des zones très fréquentées par le prédateur, trouver refuge dans des parois rocheuses, courir plus vite que le loup, le fameux "flocking" (regroupement pendant l'attaque, en mettant les individus plus faibles, les petits au milieu pour les protéger) ou, comme vous allez le voir, le fait de faire front au prédateur.
En effet, au moment du lancement de l'attaque, certaines proies vont prendre la fuite, le loup devra donc entamer une poursuite, réussir à maîtriser sa proie puis la tuer. D'autres, au contraire, vont rester sur place et le défier, notamment les proies plus grosses (bisons, élans). Selon D. MacNulty, sur 180 élans ayant subi une attaque de loups, 63% ont fui, 24% sont restés en place pour confronter les loups et 13% ont fui puis se sont arrêtés pour confronter les loups une fois que ces derniers les aient rattrapés. Sur les 63% ayant fui, 7 ont été tué. Dès le moment où une proie de gros gabarit s'arrête et confronte les loups, ces derniers doivent alors décider s'ils prennent le risque de le tuer ou non. Cela n'arrive, bien évidemment, pas avec les proies de plus petit gabarit.
Pour réussir à prédater, outre ses capacités intellectuelles reconnues, le loup peut compter sur des atouts physiques indéniables : son gabarit (entre 28 et 45 kg pour le mâle, 25 à 39 kg pour la femelle) et ses grandes pattes, qui lui permettent de marcher sur tout type de surface (rugueuse, rocheuse etc.) et à une grande vitesse, façilitant par la même ses déplacements. Ses pattes sont également munies de La vitesse des déplacements est en moyenne de 8,7 km/h et il peut parcourir entre 50 et 76 km par 12h. Dans nos contrées, le loup peine moins à trouver des proies que dans les grandes plaines américaines, où il n'est alors pas rare qu'il doive alors se déplacer des heures/jours durant pour en trouver une. Cependant, il ratera tout de même sa cible parfois, pouvant alors se passer de nourriture pendant quelques jours.
Pour trouver ses proies, le canidé utilise ses sens. Selon une étude (Peterson, 1977), les loups ont localisé des élans 10x sur 17 au travers de l'odorat, 6x au travers de la vue et 1x en les traçant dans la neige. Rien d'étonnant à cela quand on voit comment se comporte le canidé domestique (et d'innombrables autres espèces...) et l'importance indéniable de ses sens dans sa vie quotidienne. Les loups peuvent voir les proies d'aussi loin que l'humain et peuvent les repérer à l'odorat à des kilomètres. Rappelons que le loup, tout comme le chien, possède un odorat au moins 1000x supérieur à l'humain.
A suivre : le loup, quel chasseur est-il vraiment - troisième partie
Article : TT - Mission Loup
Photo : Jacques Bibinet
Réf. : D. Mech, D. Smith, D, MacNulty, R. Peterson & J.-M. Landry