Mission Loup

Loup carcasse 2

La meute à Arsène - Action de prédation

Le 09/10/2023

Nous sommes enfin de retour pour vous raconter une tentative de prédation d'un loup de la meute à Arsène sur une harde de cerfs. Accrochez-vous !

Depuis de nombreuses semaines, nous avons misé sur l'utilisation de la vision thermique, soit des "tournages" principalement en pleine nuit. En effet, une période fort propice en était à ses prémices : le brame du cerf. Durant le rut, le comportement du cervidé se modifie, le poussant à se regrouper en effectifs plus importants et sur des périmètres nettement plus restreints qu'à l'accoutumée. Les mâles et les biches se rejoignent sur une zone appelée "place de brame", en provenance de toute la région. Atteint par une multiplication x1000 de sa testostérone, le mâle perd alors un peu de sa méfiance naturelle au profit d'une hardiesse certaine, les hardes sont plus visibles et il y a plus de déplacements, surtout durant la nuit. Il est alors plus aisé de filmer des interactions intra/inter-espèces puisque le regroupement de l'espèce proie attire également le prédateur. C'est aussi une période où il est très intéressant de travailler, le fond sonore étant particulièrement sympathique, buccolique, pour ceux qui l'apprécient bien entendu.

Nous avons établi 5-6 sites d'observation, en nous basant sur les mouvements et effectifs des cerfs, les endroits les plus appropriés au niveau visuel mais aussi en tenant compte des données monitoring que nous obtenions. Ces lieux sont répartis sur l'ensemble du territoire de la meute, principalement sur des zones de fortes fréquentations et coïncidant avec celles de présence de cervidés. 

Ce soir là, nous avons jeté notre dévolu sur un coin plus reculé, où nous avions, préalablement, mis en place un affût fixe. Nous pouvons ainsi nous fondre dans le décor sans nous faire remarquer ainsi qu'à assurer une certaine protection. Bien que les cerfs ne soient pas des animaux dangereux, s'attaquant volontairement à l'homme, leur état hormonal et les tensions provoquent des combats, des courses pour échapper à un congénère ou pour le charger. Cela peut représenter un problème si nous nous trouvons sur la piste de fuite et que l'animal, trop pris par son activité ou ses hormones, ne nous voit pas. Nous déconseillons d'ailleurs aux personnes de se rendre sur des places de brame et d'y naviguer en pleine nuit ou encore d'y camper, pour leur propre sécurité. Il faut également avoir à l'esprit que la reproduction du cerf est une période extrêmement sensible. Tous les dérangements occasionés par des curieux ou amoureux de la nature insistants, non conscients des dangers, autant pour eux que pour l'animal, peuvent avoir des effets négatifs sur le taux des naissances. Il existe également des risques de pousser les cerfs sur des zones de chasse ou de les épuiser au travers de fuites inutiles, ce qui peut mener à la mort en cas d'hiver précoce ou particulièrement rude. Nous recommandons à la population de rester sur des zones et chemins prévus à cet effet, d'utiliser du matériel pour observer de loin (jumelles ou longue-vue) et d'écouter sans tomber dans la dérive de notre société : la recherche du selfie, qui est une utopie totale. 

La chasse modifie également les comportements des espèces proies, elles en tirent également des enseignements. Aujourd'hui, à certains endroits, les cerfs ne sortent plus qu'une fois la nuit tombée, se sachant plus en sécurité face à l'humain. Il devient de plus en plus rare d'observer les interactions intra-espèce du rut du cerf en-dehors des périodes nocturnes ou en allant dans des endroits très reculés, non envahis par la foule de curieux ou en zone protégée.

Une fois que tous les touristes et amoureux de la nature sont rentrés, que la nuit envahit les forêts et pâturages, nous partons donc dans notre affût, habillés chaudement et avec la recharge de nourriture et batteries. Durant nos nuits de veille, nous avons une grande proximité avec les cervidés, ces derniers venant souvent entre 5 et 20m de notre position. Ce sont des moments très intenses, au niveau sonore mais et surtout en termes d'enseignement sur le fonctionnement de l'espèce. Nous avons déjà filmé nombre d'interactions intra/interespèces les concernant, à la vision thermique. Prochainement, nous en ferons un article, avec des vidéos inédites, pour vous partager l'intérieur de cette période phare de l'année, devenue un phénomène qui attire les foules.

Cette fameuse soirée, installés dans notre affût, nous passons 2 heures avec une harde d'une vingtaine de biches et faons ainsi qu'un imposant mâle. Il ne cesse de bramer, poursuit les femelles pour obtenir, éventuellement, un accouplement, humant l'air avec le fameux phénomène du "Flehmen" (1) et ramenant celles qui tenteraient de s'éloigner. Il n'arrête pas un instant, obnubilé par ses hormones et prévenant également les autres mâles du coin qu'ici, c'est lui le chef. Les biches et les faons finissent par se coucher mais sont souvent relevées par l'insistance du mâle. A notre droite, nous entendons un bruit de course, à moins de 15m. Nous détournons notre vision thermique et découvrons un jeune cerf mâle, chassé par un plus gros et qui arrive en grand fracas, s'arrêtant à 10m de notre affût. Il observe et finit par se diriger à l'opposé de la harde, fort logiquement. Nous revenons donc sur la meute, dans un calme apparent. En une fraction de secondes, ça part en courant, nous comprenons immédiatement ! Nous cherchons frénétiquement la source, que nous savons avoir une queue, 4 pattes et faisant partie de la famille des prédateurs : le loup. Nous réussissons à filmer sa course derrière la harde, sur une vingtaine de mètres, avant que tout ne soit masqué par un monticule.

La prédation s'arrête alors immédiatement, nous le voyons à la harde qui stoppe sa course, monte tout tranquillement. Le cerf mâle fait écran entre le loup et ses biches, rempart impressionnant et dissuasif. En effet, le loup n'a pas réussi à provoquer ce qu'il recherchait en lançant l'attaque avec un effet de surprise : l'erreur d'un individu plus faible (physiquement/intellectuellement/inexpérimenté) qui ne partirait pas assez vite, se séparerait de la harde, ferait LE mauvais choix qui permettrait au prédateur de réussir sa chasse. Tel ne fut pas le cas ce soir là, la harde est restée très compacte, la tentative n'a pas duré plus de 15-20 secondes, le loup ayant bien calculé le ratio coût/bénéfice. Le prédateur est ressorti au même endroit du monticule et est passé à moins de 20m de notre position, trottinant et reniflant des odeurs au sol, tranquillement. A un moment, il a perçu les effluves de notre odeur, que le vent lui a amené, s'est arrêté puis a échappé à notre vision en grimpant tout au sommet du pâturage.

Pour des raisons de confidentialité des données, nous ne montrerons pas toute la phase de l'action de prédation sur la vidéo ci-dessous. Contrairement à ce qui est souvent dit ici et là, il est clair que le loup ne provoque pas, chez ses proies sauvages, un immense stress ou une peur irraisonnée et insupportable. Dans la nature, comme nous l'avons déjà expliqué, les proies apprennent rapidement à connaître le prédateur, elles repèrent immédiatement les signes, comportements et savent les interpréter. Elles possèdent les armes nécessaires pour, majoritairement, anticiper ou éviter l'attaque. Et la preuve en est que seules 10 à 49% des tentatives se soldent par un succès pour le loup, ce qui montre on ne peut mieux la difficulté pour le prédateur et les chances d'en réchapper pour les proies. D'ailleurs, moins de 10 minutes après la tentative d'attaque, le cerf et une partie de ses biches réoccupaient à nouveau les lieux, ce dernier s'autorisant même une petite sieste, aussi furtive que l'attaque du loup. Sa frénésie est repartie de plus belle pendant toute la nuit et les biches ont repris leur phase de repos/pâture...

Ces interactions entre espèces sont très riches d'enseignement et montrent la différence entre les croyances populaires, les mythes et la réalité de la nature. Cette dernière n'a jamais été douce mais elle offre à tous les animaux des armes, physiques et intellectuelles, pour survivre et assurer la descendance et une continuité de l'espèce.

Nous sommes heureux de partager avec vous quelques images de cette action de chasse et le passage du loup très près de nous.

A bientôt pour des nouvelles de la meute à Arsène !

 

Dictionnaire

(1) Flehmen : afin de détecter les phéromones émises par les biches en chaleurs, les mâles retroussent la lèvre supérieure pour imprégner leur organe voméro-nasal dit "de Jacobson" situé sur le palais.
Organe de Jacobson : organe olfactif des vertébrés tétrapodes (à quatre membres), s'ouvrant au plafond de la bouche.


Cerf flehmen parc ste croix

Article : TT - Mission Loup
Vidéo : Mission Loup (tout droit réservé, interdiction de l'utiliser sans autorisation)
Photos : Pietro Santucci & Parc Ste-Croix

 

 

 

Tentative d'attaque d'un loup de la meute à Arsène sur une harde de cerfs

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