Depuis le début de notre étude, nous avons eu la possibilités de récolter de très nombreuses données, sous diverses formes, ce qui permet une analyse approfondie. Néanmoins, même si nous avons, à ce jour, une bien meilleure vision du fonctionnement de la meute à Arsène, nous sommes aussi passé par des phases où nos idées, nos pensées voire certaines certitudes ont été balayées, remises à leur juste place. La nature, le vivant et surtout le loup nous apprennent, à nous humains, que rien de ce que nous pensons acquis ou clair ne l'est vraiment. Ils nous enseignent donc une chose très importante : l'humilité ! Et ceci en nous forçant à nous remettre en question, à constamment évaluer, de manière approfondie, l'ensemble des données, à nous adapter et en nous interdisant de considérer quoi que ce soit comme immuable, fixé dans le temps. D'ailleurs, à côté du travail de terrain, que nous nommerons "la partie pratique", la lecture de centaines d'études & d'ouvrages, la participation à diverses conférences ainsi que l'échange fréquent avec des spécialistes mondiaux font partie intégrante de notre travail, en tant que "partie théorique". Eh oui, théorie et pratique sont indissociables, complémentaires et nécessaires à la compréhension !
Depuis 2022, nous avons donc pu constater, comme nos collègues américains, qu'entre juin et septembre, une majorité des passages devant les pièges photographique ne montrait qu'un seul individu. C'est une situation qui est désormais reconnue par nombre d'études, soit qu'une meute utilise ses effectifs différemment, ne chassant donc pas toujours ensemble, bien au contraire. Nous avons tous en tête la collaboration et l'organisation d'une meute, en pensant aux avantages qu'elles offrent par rapport à des individus solitaires, fort logiquement. Cependant, il est aussi clair qu'à cette période (été), un élément primordial change la donne et doit être pris en compte. Il peut paraître logique pour nous mais ne le sera pas forcément pour tous : la croissance rapide & intense des louveteaux. Dès lors, la meute chasse, actuellement, de manière quasi continue, jour et nuit. C'est aussi pour cette raison que les louveteaux sont laissés dans le fameux "lieu de rendez-vous", étant actuellement incapables de suivre la meute et devant limiter les efforts, tout comme les chiots, afin de préserver leur croissance osseuse, articulaire, entre autre. Ils sont laissés seuls ou parfois sous la surveillance d'un(e) subadulte, quand les effectifs le permettent.
Contrairement aux idées reçues, aux croyances (ou encore aux certitudes de certains), la meute peut donc prendre, à cette période, la décision de chasser séparément, soit chaque individu peut partir dans une direction, possiblement opposée. Le couple peut décider de rester ensemble et le(s) subadulte(s) emprunte(nt) alors une autre piste, sur une autre partie du territoire, même aux limites et au-delà. Les distances parcourues sont, elles aussi, assez impressionnantes, pour rappel un loup peut parcourir 50 km en une nuit. Le but de cette chasse en solo est, somme tout, assez logique : si chacun revient avec une proie (une partie ingurgitée puis régurgitée et l'autre dans la gueule), cela maximise donc la quantité de nourriture rapportée aux louveteaux et améliore leur chance de survie ! Ces derniers, durant l'été, ont d'énormes besoins alimentaires post-sevrage, en lien avec leur croissance impressionnante et naturelle, entre l'âge de 2 et 4-5 mois. Voilà pourquoi les pièges ne montrent, bien souvent, qu'un seul loup durant la période estivale !
Vous l'avez compris : une meute est ÉVOLUTIVE ! Elle s'organise et s'adapte en fonction des périodes de son année biologique, de la migration de ses proies, des individus la composant (changement, naissances, morts, etc.), des éventuelles pressions humaines (tourisme), des meutes avoisinantes, les facteurs sont nombreux. Mais la chasse en solo est connue, appliquée soit pour, comme vous venez de le voir, augmenter la nourriture aux louveteaux ou soit pour permettre aux subadultes d'expérimenter la vie en solitaire, au travers d'excursions exploratoires. Des observations sur le terrain montrent que, parfois, les subadultes se nourrissent de proies tuées pour leur propre compte, sans ramener de nourriture.
Nous tenons donc à être clairs : non, ça n'est pas parce qu'un loup est aperçu sur un versant et un autre à l'autre bout du territoire en même temps que, forcément, il y a plus de loups voire même de meutes ! Si des loups n'ayant aucune filiation avec les meutes visées ont été abattus cet hiver, c'est surtout car
1. Les territoires et leurs limites ne sont pas toujours bien compris et interprétés par les autorités.
2. Les périmètres de tir ne prennent pas en compte les zones tampon. Ils ne devraient d'ailleurs concerner que le centre du domaine vital lorsque la régulation d'une meute est demandée.
3. L'hiver est une période de dispersion, certains louveteaux de l'année et subadultes quittent la meute et peuvent, potentiellement, se trouver sur des zones tampon voire même sur le territoire d'autres meutes.
4. Les dérèglements provoqués par les tirs en décembre (mort d'un membre du couple reproducteur surtout) permettent à des disperseurs de s'intégrer plus facilement et rapidement.
Pour véritablement avoir une idée plus précise, notamment des territoires, des zones tampon et des périmètres à éviter, la récolte d'ADN est une alliée extrêmement précieuse ! Avec l'identification des membres de la meute, que ce soit lors d'attaques ou sur la récolte d'indices sur le territoire, nous avons accès à des données permettant une bien meilleure compréhension générale. Malheureusement, il n'est pas toujours exploitable sur des déjections/carcasses ou, parfois, comme c'est le cas pour la meute des Hauts-Forts (Valais), inexistant depuis juillet 2022, ce qui reste inquiétant quant au suivi de terrain effectué sur cette meute ! Sans ADN ni analyse approfondie de l'ensemble des données, il devient alors extrêmement compliqué de comprendre le fonctionnement d'une meute, son organisation, la gestion spatiale du territoire, etc. Et cela conduit, fort logiquement et malheureusement, à une mauvaise interprétation des territoires ou encore des zones tampon (buffer zones), ces endroits où il est vital de ne jamais procéder à des tirs.
De plus, il est également nécessaire de préciser qu'un loup approchant un troupeau une nuit ne sera pas forcément le même quelques heures plus tard, le lendemain ou la semaine suivante ! Encore un fait ignoré ou mal compris par les entités officielles et certains de nos politiciens ! Toute décision de tirer des individus adultes sur le territoire de meutes, entre juin et août, ou, pire encore, d'armer des bergers pour qu'ils abattent des loups s'approchant des troupeaux, aura des conséquences hautement préjudiciables, notamment au travers d'éclatements de meute, d'une plus forte pression encore et d'une probable augmentation des dommages. En effet, en perdant un membre du couple reproducteur à cette époque, par exemple dans une meute nouvellement formée, cela mènera l'individu restant à devoir chasser de manière 10x plus intense, en choisissant alors des proies plus fragiles et accessibles, soit des animaux d'élevage. Une recrudescence des attaques sur les troupeaux sera alors à prévoir ! Cette idée farfelue d'un politicien UDC sortie dans le Blick le 14 août 2024, est encore une fois issue d'une totale ignorance du fonctionnement lupin, de la science et reste 100% populiste. Non seulement elle est contreproductive pour les éleveurs mais aussi pour la protection de l'espèce Canis lupus au niveau régional, elle-même prévue dans la LChP mais aussi dans la Convention de Berne, deux lois qui doivent être respectées, sans distinction de canton ! Ce type de tir, déjà effectué en France depuis de nombreuses années, n'a pas permis de faire chuter drastiquement les attaques sur les troupeaux, en témoignent les chiffres présents sur le site officiel de la DREAL. Il serait temps que certains de nos politiciens cessent de baser leurs décisions sur leurs opinions/visions personnelles ou encore leur besoin de complaire aux majorités pour drainer des voix et se penchent, très sincèrement, sur la lecture d'études et ouvrages. C'est somme toute assez inquiétant si ce type de raisonnement et de procédé est appliqué dans tout autre sujet sur lesquels ils doivent prendre position...