Mission Loup

Illustration article facteur humain

Protection - L'humain, l'ennemi numéro un

Le 18/09/2024

Dans nos précédents articles, à lire sur la page "blog" pour celles et ceux qui ne les auraient pas encore consulté, nous avons abordé de manière approfondie l'efficacité de la protection et les nombreux facteurs qui peuvent l'influencer ou l'impacter. Et cela bien au-delà des seules statistiques des pertes annuelles dues au loup, qui ne sont qu'un facteur parmi tant d'autres. La réalité est qu'aujourd'hui, si nous voulions réellement évaluer l'efficacité de la protection dans notre pays, il serait obligatoire de prendre en compte tous les facteurs cités dans nos précédents articles, surtout l'évolution des moyens de protection sur chaque élevage. Nous parlons là des changements apportés au cours de l'année ou par rapport aux années précédentes (augmentation, stagnation ou baisse des méthodes mises en place) mais aussi ceux touchant à la protection dite vivante, soit les chiens de protection (les aptitudes et l'intérêt porté à la protection, l'état physiologique et psychologique, les éventuels problèmes de santé sous forme de maladies ou de blessures, les chaleurs au sein d'une meute qui nécessite le retrait d'individus, les soucis liés à l'âge potentiellement trop avancé, etc.) Ce facteur revête une importance toute particulière car le vivant subit moultes changements qui peuvent donc avoir une forte incidence sur l'efficacité de la protection. Et n'oublions pas tout ce qui touche au loup et à la meute présente sur les zones d'estivage (gestion du territoire, évolution/modification des effectifs, intervention humaine au travers de la régulation, caractère/personnalité des individus, compréhension desdites territoires et zones tampon par les autorités, etc.). Mais il reste un élément dont on ne parle que trop peu et qui a pourtant une énorme importance dans tout ce qui touche à la protection : l'humain !

Aujourd'hui, le tourisme a pris un essor tel qu'il devient, malheureusement, difficilement gérable. L'humain est sans cesse en train de chercher et de développer de nouvelles activités sportives, récréatives, touristiques afin de pouvoir se distraire, se dépenser, dépasser ses limites ou encore s'enrichir. Le constat est clair et sans contestation possible : la nature, les forêts et les montagnes sont le théâtre de nombreux loisirs, de jour comme de nuit et, pire encore, en toutes saisons. La faune sauvage est constamment dérangée puisque l'on interfère sur les endroits où elle vit, se repose, se nourrit et cela conduit, notamment en hiver ou aux abords des routes, à des drames entraînant la mort (accidents, blessures, épuisement). Et ne nous y trompons pas, ces nombreuses activités sont un énorme point noir pour le monde pastoral, c'est indéniable ! Chiens domestiques présents sur des zones interdites et non tenus en laisse (occasionnant des morsures/attaques sur les ovins/caprins), mauvais comportements et non respect des règles et des panneaux mis en place, les exemples sont malheureusement légion.

Par le passé, les loisirs étaient limités à la simple randonnée, avec des personnes marchant tranquillement sur des chemins pédestres en été et à la pratique du ski en hiver. Aujourd'hui, des vététistes dévalent les sentiers à pleine vitesse (ce qui également un réel danger et problème pour les autres utilisateurs de la montagne), des trailers courent du lever du jour à la tombée de la nuit, des excursions nocturnes sont organisées, des motocyclistes font du cross même sur des zones de réserve, des parapentistes survolent les troupeaux, stressant les chiens de protection et la faune sauvage (l'aigle royal notamment, quelques incidents ont déjà été enregistrés). Et sans compter toutes les activités hivernales que sont les raquettes, le ski peau de phoque, le ski hors piste, etc. Le souci de la performance dans les activités sportives peut aussi causer quelques soucis, lorsque des personnes ne souhaitent pas s'arrêter, ce qui est obligatoire en présence de chiens de protection, pour conserver leur chrono, entre autres.

Dans le meilleur des mondes, cela pourrait éventuellement bien se passer si chaque utilisateur respectait les règles établies (lois, panneaux) mais aussi et surtout celles du bon sens élémentaire envers tous les autres usagers. Mais les très nombreuses dérives montrent que la réalité est toute autre et l'humain est désormais devenu ce que l'on pourrait appeler "une épine dans le pied" des éleveurs. Nous rappelons que ces derniers travaillent alors que les randonneurs, vétetistes et autres se distraientt, pratiquent seulement un loisir. Dès lors, le premier est prioritaire, logiquement et mérite donc que nous respections son travail. Il est souvent nécessaire de vivre une situation ou, pour ceux qui y parviennent, de se mettre à la place d'une personne, pour réellement la comprendre. Nous n'aimerions pas que, chaque jour, quelqu'un vienne nous déranger, nous empêcher de faire notre travail voire le péjorer, nous serons tous d'accord là-dessus. Malheureusement, la croissance exponentielle (terme cette fois utilisé à bon escient...) des activités en extérieur, toujours plus recherchées et variées, devient un sérieux point noir pour les éleveurs puisque cela ne va plus de pair avec des valeurs tel le respect, de soi, des autres, des lois, des règles et du fameux bon sens. Il est également à noter que les dérives engendrées ne sont que peu voire pas mentionnées publiquement, que ce soit par les médias ou par les politiciens, au grand damne des éleveurs devant se battre pour se faire entendre et respecter ! Le loup polarise l'attention, il est un peu l'arbre qui cache littéralement la forêt dans un sujet éminemment vaste et complexe, trop souvent abordé sous le même angle par les deux catégories précédemment citées.

En quoi ces dérangements constants, tout au long des 4-5 mois d'estive ont-ils un impact sur la protection des troupeaux, qu'elle soit mécanique ou vivante ? Vous êtes-vous déjà posé cette question ? Eh bien il est nécessaire de comprendre qu'ils causent de nombreux problèmes concrets aux éleveurs, entre les personnes ne refermant pas les clôtures derrière elles ou les escaladant (augmentation du risque de fuite des animaux et des accidents, détérioration du matériel, etc.), celles lâchant leur chien sans maîtrise aucune ou encore celles ne s'arrêtant pas pour descendre de leur vélo, etc. Cela reste aussi et surtout une préoccupation pour les bergers/éleveurs qui possèdent des chiens de protection. Ces derniers sont, justement, soumis à une forte pression puisque leur attention est sans cesse captée par le flot de personnes sur leur territoire, ce qui peut entraîner une forme de "fixation" chez les chiens de protection. Ils se concentrent alors de manière presque obsessionnelle sur ces zones de fort passage, qu'ils identifient comme des lieux d'où provient le danger. C'est assez négatif, provoquant également de la fatigue, de l'épuisement.  

Voici ce que nous disent, très fréquemment et sincèrement, des éleveurs avec lequels nous collaborons : "ce n'est pas le loup notre problème mais le nombre de fois, chaque jour que Dieu fait, où nous devons gérer les interactions et éventuels conflits avec le tourisme. Nous devons surveiller le comportement des personnes à l'approche du troupeau, rappeler à l'ordre celles qui se moquent des consignes, intervenir pour empêcher un incident entre nos chiens et un "domestique" non attaché ou emmené dans une zone lui étant pourtant interdite, faire face aux conséquences du survol de nos estives par des parapentes, qui provoque des éventuels mouvements de panique parmi le troupeau ainsi que le stress et la fatigue de nos chiens de protection, qui réagissent instinctivement et logiquement. Ou, pire encore, les cas où nous devons soigner des brebis mordues par des chiens domestiques non maîtrisés ou voir des gens lancer des cailloux, gazer ou taper nos chiens de protection avec des bâtons de randonnée, par peur et agacement mais sans qu'aucun mauvais comportement préalable de nos canidés aient déclenchés ces gestes rageurs et inacceptables. Sans compter que de telles mauvaises expériences laissent, notamment pour de jeunes chiens ayant passé tous les tests requis avec succès et bien dans leurs pattes, des traces au niveau comportemental, qui sont ensuite difficilement corrigeables. Et après tout cela, on entend encore que nous ne contrôlons pas nos chiens, qu'ils sont méchants, agressifs ou ont des comportements non souhaitables. Ca fait beaucoup trop à encaisser, c'est fatiguant, éreintant pour nous et pour nos chiens également. Et pourtant, grâce à la protection maximale que nous mettons en place, le loup n'est finalement pas un problème du tout, nous dirions même le cadet de nos soucis". Certains le disent clairement (et nous nous doutons bien que cela se fait dans la réalité) : "il serait plus facile de ne pas avoir de chiens à gérer, ce qui nous éviterait la gestion des conflits avec le tourisme ou encore à l'intérieur de la meute de chiens de protection, en laissant le loup nous prendre un/deux moutons de temps en temps, qui nous serons ensuite indemnisés correctement. Nous serions certainement moins embêtés au quotidien". 

Malheureusement, tous ces faits relatés par ces éleveurs sont réels, très fréquents voire, parfois, quotidiens sur certaines zones d'estivage correctement protégées. Si vous avez lu notre dossier spécial "Canidés - les réels dangers pour l'homme aujourd'hui", vous prendrez probalement conscience que les incidents entre chiens de protection et humains, extrêmement rares par rapport à ceux enregistrés avec des "toutous" domestiques, sont encore une fois majoritairement occasionnés par des erreurs humaines, des comportements ou gestes inadéquats et une méconnaissance, parfois totale, du fonctionnement du canidé.

Vous l'aurez compris, la façon dont nous nous comportons lorsque nous sommes dans la nature et sur des estives, revête une importance primordiale pour garantir l'efficacité de la protection et donc, tout naturellement, la coexistence avec le loup également ! Il est indéniable que le non respect des panneaux et des lois engendre un travail supplémentaire à l'éleveur mais aussi et surtout aux chiens de protection, qui doivent protéger le troupeau la nuit contre le loup et la journée contre des éventuels dérives, des incivilités, voire subissent des mauvais traitements. Il est temps d'ouvrir les yeux sur cette réalité et le rôle que nous avons à jouer lorsque nous nous rendons dans la nature. Qui, pour rappel, ne nous appartient pas et mérite également tout notre respect. Nous devons donc respecter les règles en vigueur, nous informer préalablement, changer de destination ou pratiquer de la désensibilisation si nous avons peur des chiens, éviter les estives protégées par des chiens de protection avec nos compagnons à 4 pattes et comprendre que seule une protection maximale, au travers du trio clôtures électriques/chiens de protection/berger, permet d'éviter les attaques de loup donc...les tirs ! Et, pour terminer, nous aimerions rappeler que les zones d'estivage peuvent également être privées, appartenir à l'éleveur ou à une commune avec un droit de passage, la montagne n'est pas libre de droit !

Il serait aussi souhaitable que nos chefs d'État et certains politiciens abordent également le sujet de la protection ainsi que celui des dérives du tourisme et de l'humain sur les zones d'estivage mais également de manière générale, dans la nature toute l'année ! Il ne suffit aucunement de vanter la régulation massive du loup comme LA solution, surtout lorsqu'on a ni connaissance ni recul (un jeu extrêmement dangereux), il est aussi vital de s'impliquer dans la protection, de l'encourager et de la soutenir, publiquement également. Pour rappel, en 1999 en Valais, deux loups avaient tué 199 moutons soit la moitié des pertes actuelles alors que le nombre de loups a depuis été multiplié par 60 et le nombre de meute par 10 dans ce canton ! Nous rappelons donc que la protection est indispensable, obligatoire, sans quoi les dégâts reprennent l'ascenseur bien plus vite que la population lupine, cela va sans dire !

Merci à toute personne pratiquant ses loisirs en nature de prêter attention aux panneaux, de les respecter et de s'informer ou de se former sur les bons comportements à adopter.  

 

Article : TT - Mission Loup
Photo : montage d'illustrations (Adobe Stock, Shutterstock & FERUS)

 

 

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