Mission Loup

Loup pietro santucci

La régulation du loup - L'importance de l'éthologie - Partie 1

Le 23/02/2025

Après deux phases de régulation proactive en Suisse, nous pouvons déjà voir poindre certains problèmes, qui nécessiteraient des changements, des adaptations ou des prises en compte. En effet, le tir du loup, animal vivant en meute (groupement familial) et dont la majeure partie des activités et déplacements ont lieu de nuit, exige des connaissances et la mise en place de méthodes strictes ! Il est vital d'éviter, autant que possible, les erreurs et créer des déséquilibres dans des meutes non concernées. Le prélèvement de membres de couples reproducteurs lorsque les louveteaux sont encore en phase d'apprentissage peut représenter un réel danger, autant pour la survie de ces derniers que pour les conséquences sur les attaques de troupeaux. Les risques sont donc élevés, que ce soit pour le loup ou pour les éleveurs. Aujourd'hui, nous abordons donc le thème de la formation de toute personne mandatée pour tirer des loups lors de phases de régulation, ce qui n'est qu'un aspect parmi d'autres des changements qui devront être apportés à l'avenir.

La régulation du loup est désormais actée dans la nouvelle Ordonnance (OChP), elle aura donc lieu de manière réactive entre juin et août et proactivement, entre septembre et fin janvier. Jusqu'en 2023 et le changement à 180 degrés voulu par Monsieur Rösti, Conseiller fédéral suisse, en termes de gestion et régulation du loup, seuls les gardes-faunes (assermentés) et quelques gardes-faunes auxiliaires (non assermentés) pouvaient procéder aux tirs légaux. Mais le canton du Valais, dont on connaît la passion pour la chasse (y compris monnayée pour des animaux protégés), a surfé sur une phrase présente dans l'Ordonnance. Il a autorisé les chasseurs possédant un permis pour le renard et le sanglier, à prendre part à la régulation proactive du loup, en mettant sur pied une formation de 3 heures. Le hic est qu'elle est principalement axée sur les procédures à respecter (avant, pendant et après le tir) mais ne se focalise pas plus que ça sur le loup, une meute, son fonctionnement et organisation, etc. Pourtant, en Suisse, le permis de chasse ne s'obtient qu'au travers d'une formation qui s'étend sur 3 ans, au terme de laquelle le chasseur connaît toutes les proies, leurs particularités physiques, biologiques (ce qui est obligatoire pour abattre un animal sans souffrance puis le vider), leurs âges (des quotas de prélèvement strictes sont en vigueur), leurs fonctionnements, etc. 

Qu'en est-il pour le loup ? 3 heures de formation pour lui, 3 ans pour ses proies, n'y a-t-il pas quelque chose qui cloche avec une telle différence dans les procédures mises en place pour former dûment les futurs tireurs ? Soyons clairs : lorsqu'on compare un cervidé à un loup, que ce soit au niveau de leur vie sociale, de la grandeur de leur territoire, de leur fonctionnement et organisation, de leur capacité de dispersion, des conséquences potentielles en cas d'erreur, etc., tout spécialiste, biologiste ou scientifique qui se respecte conviendra que le tir de prédateurs nécessite bien plus de connaissances et de formations que celui de ses proies. Et que les risques encourus en cas d'erreurs de tir peuvent être largement plus préjudiciables avec le canidé sauvage qu'avec le cervidé, il en va s'en dire.

Mais dès lors, comment pourrait-on améliorer la formation ? Que faudrait-il inclure pour que les personnes procédant à sa régulation puissent éviter le prélèvement d'individus ayant un rôle clé dans la meute ou de membres adultes avant le 31 octobre ? Ou encore de provoquer la déstructuration ou les déséquilibres intraspécifiques ou l'abattage de chiens de protection, domestiques ou une autre espèce de prédateur ? Il est important de mentionner que le tir du loup s'effectue, l'immense majorité du temps, de nuit, avec le soutien d'une vision thermique. Mais le problème, c'est qu'il est alors impossible de différencier les individus en se basant sur des particularités physiques, visibles lors de tir en journée ! Nous parlons là de couleur de pelage qui diffère, de tâches, d'oreilles coupées, bref de tout signe qui peut permettre d'identifier un individu par rapport à un autre. Bien que cela soit difficile chez le loup, il existe des manières de reconnaître certains individus à leur apparence ou spécificités. La vision thermique annule cette possibilité, rendant toute cible blanche (ou noir, sépia, etc.). Le tireur ne peut donc se baser que sur l'apparence générale, une éventuelle différence de gabarit (qui ne sera plus présente dès mi-décembre entre adultes et louveteaux de l'année; nous félicitons à ce sujet les Grisons pour la décision de stopper les tirs en janvier 2025) et...le comportement, pour identifier son sujet !

Malheurement, la science comportementale, qui est le point le plus important en ce qui concerne le loup, est souvent négligée voire totalement oubliée dans les cours de formation "accélérés" ! Nous rappelons que, selon la Loi Fédéral sur la Chasse, le tireur doit identifier à 100% son sujet avant de tirer, il doit être certain de prélever le bon individu (âge, sexe, espèce, etc.). Mais que faire si une identification visuelle précise n'est pas possible ou plus difficilement ? Il est alors obligatoire de pouvoir (re)connaître certains signes, tels le port de la queue, les postures & attitudes, le comportement social, etc., afin de différencier les individus à l'interne d'une meute (membres du couple reproducteur, subadultes, louveteaux). Mais aussi de savoir faire la différence entre canidés sauvages ou domestiques ! En Valais, un chien de protection a déjà payé de sa vie une erreur d'identification, ce qui démontre que l'apprentissage de l'éthologie serait nécessaire, les différences comportementales entre le canidé sauvage et domestique étant encore mal connues/comprises. Cela pourrait engendrer de réels problèmes. On ne rachète pas la vie, l'animal abattu ne pourra pas être récussité une fois que la balle mortelle a atteint sa cible. Que ce soit au niveau émotionnel ou organisationnel (éleveur), la perte d'un compagnon est lourde. Quant au tireur, il est important de mentionner qu'il peut aussi être impacté lourdement en constatant son erreur et en devant vivre avec ce poids sur la conscience. Tuer un chien, en sachant son rôle au sein d'un élevage ou d'une famille, n'est pas sans conséquences en termes de culpabilité.

Outre le fait que les tirs de régulation se déroulent de nuit, il faut rajouter la distance séparant le tireur du loup et le temps à disposition pour procéder au tir ! En effet, le loup ne fait souvent que passer, dans un milieu où des obstacles (arbres, troncs, collines, etc.) peuvent rendre son apparition assez fugace, ce qui ne laisse qu'une courte fenêtre de tir et nécessite une prise de décision plus ou moins rapide. Mais la réalité est qu'il est obligatoire de pouvoir analyser, sur une période allant d'une à plusieurs minutes, possiblement, le comportement des individus de la meute ou du canidé présent. L'éthologie revête alors une grande importance pour différencier les individus, repérer les signes physiques (port de la queue, mimiques, postures) qui permettent de savoir qui est le couple reproducteur, les subadultes, les louveteaux, etc. C'est aussi nécessaire de pouvoir connaître les différences entre chiens et loups, notamment lorsque le tir a lieu proche de pâturages où se situent des élevages, de fermes ou de localités. Bien qu'en Suisse, il n'y ait vraiment très peu de chiens errants ou divaguants, surtout en période nocturne, le risque de se tromper de cible est, dans ces situations, tout de même bien présent.

Nous vous présentons, sur les deux parties de cet article, deux séquences de la même vidéo,
filmée par notre équipe lors d'une de nos très nombreuses sorties nocturnes, d'observation et de recherche. Nous étions sur une zone où le loup a été aperçu plusieurs fois, où se trouve une forte concentration de proies à cette époque de l'année, où des carcasses ont déjà été retrouvées et où aucun chien errant n'a jamais été signalé ni observé. Nous étions donc dans des conditions idéales pour espérer voir apparaître Canis Lupus... Nous filmions un sanglier, esseulé et blessé (patte antérieure droite très blanche, ce qui montre un fort afflux de sang) qui se nourrissait à 2h du matin, à 100m de notre position. Soudain, un canidé sort de la forêt, se met à trotter sur le sentier, en direction du sanglier. Gabarit, garrot, apparence, corpulence, tout y est. Le sanglier n'a pas demandé son reste et malgré sa boîterie, il est parti à couvert, les pattes à son cou !

En se basant sur les 30 premières secondes à compter de l'apparition du canidé, qui provoque bien souvent une forte montée d'adrénaline pouvant également brouiller momentanément la perception, il est évident que nombre de personnes seraient convaincues qu'il s'agit d'un loup. Et notamment en se basant sur les circonstances précitées, soit pas de chien sur la zone, loups aperçus, animal blessé, forte concentration de proies, etc. N'oublions pas qu'avant l'avènement de la régulation proactive, comme nous l'avons expliqué plus haut, seuls les gardes-faune ou auxiliaires pouvaient procéder au tir du loup. Cela signifie que très peu de chasseurs ont, aujourd'hui, une vraie (ou grande) expérience en matière d'identificaton du loup avec du matériel thermique. A cela se rajoute la furtivité des passages du prédateur sauvage et encore plus des meutes, qui ne se laissent guère apercevoir sur de longues séquences. Les observations sont donc très rares, compliquant l'identification formelle.

Deuxième partie de l'article ici 

Article : TML - Mission Loup
Vidéos : Mission Loup
Photo : Pietro Santucci

Apparition du canidé

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